dimanche 24 janvier 2010

Monnaie : mieux comprendre le phénomène

La suite d'un billet précédent sur le même thème de la monnaie.

Monnaie : mieux comprendre le phénomène par Michel PORTAL.
Voyez comme la distribution équitable est en retard sur la production! Comme la production est mal-orientée, toxique, déséquilibrée! Ce n'est pas une fatalité: la monnaie est création humaine.
Lorsque les matières premières sont encore là, lorsque les techniques existent, lorsque les humains qualifiés sont en nombre et ne demandent qu’à travailler, peut-on admettre que seul un “manque d’argent”, un manque de billets en papier, un manque de crédit électronique ralentisse ou arrête l’économie réelle et la distribution des biens et des services?

Ce qu'on appelle "état" ou "souveraineté" (et la "monnaie" qui va avec) peut se manifester à plusieurs échelles: mondiale, européenne, nationale, régionale, locale, familiale... Nous sommes tous impliqués dans des systèmes monétaires afin d’échanger: aucun individu n’est capable d’autarcie. Chaque échange - comme déjà le troc - peut être équitable ou inéquitable. Ainsi la question éthique se pose avant toute monnaie. Elle se pose avec sa création et ne dispararaît pas après.

Celui qui “bat monnaie” (pièce, billet ou signe électronique) l’émetteur, reconnaît avoir une dette envers celui qui lui a fourni un bien ou un service: il le paye. Si la confiance règne, l’échange est volontiers accepté et il se diffuse. Tant que la confiance dure, l'échange est transmissible à autrui. Le détenteur de monnaie peut alors choisir de rembourser une dette, d'épargner ou de s’approprier quand il le décide une part de la richesse de la communauté délimitée par ceux qui ont librement confiance en cette monnaie.

Une monnaie qui s’étend et veut durer ne supporte pas la malhonnêteté parce que celle-ci détruit la confiance - C’est particulièrement vrai pour une monnaie à ambition planétaire -. Toutes les civilisations ont usé et usent de divers moyens de paiement: objets, pièces, or, argent, matières précieuses, différentes formes de billets en papier et maintenant très majoritairement (+ de 90%) des signes électroniques pouvant circuler à la vitesse de l’électricité d’un compte à un autre. Avec chaque forme de monnaie, la confiance et l'éthique qui va avec, est absolument incontournable. A travers les siècles, l'or a fait illusion et certains y croient encore (voir ses cours)! Cette croyance est seulement la suite de l'histoire du veau d'or: placer sa confiance, son ressenti en une chose! Il faut en sortir (étalon or abandonné en 1974). Les morales religieuses et autres ne suffisent pas (si elles suffisaient cela se serait vu avec le temps) mais nous pouvons établir un contrat social de partage propre à assurer la confiance: des règles monétaires équitables pour tous; sans exclusion. Des travaux, pour certains nobélisés, existent depuis plus de 150 ans au moins.

La monnaie est une création humaine - artificielle comme l’espéranto notez-le - généralisée. Chacun a une mini-part de responsabilité dans l'ensemble, mais certains (souvent anonymes) beaucoup plus que d’autres à cause des flux monétaires qu'ils orientent. La population comprend de plus en plus mal qu’il reste impossible de réviser l'outil monétaire, de le refondre quand celui-ci devient toxique, criminel ou plus banalement usurier par suite de prises d’intérêts excessives par rapport aux services rendus. Il s’agit alors d'argent "non-gagné", de spéculation sans travail, littéralement de "fausse monnaie" qui, sous couleur d’anonymat, vole le travail et l’entreprise d’autrui.
Au-delà du légitime dédommagement de l’inflation (tant qu'elle existe), au-delà d'honoraires rétribuant justement le travail du système bancaire et au-delà de l’augmentation de richesses due au travail des humains (rémunéré ou non car beaucoup d'activités utiles ne sont pas monnayées; par exemple celui des mères au foyer) l’argent ne "fait" de l’argent qu’en le subtilisant à d’autres. Tout intérêt supplémentaire est usure, mensonge et vol.

Pour plier "l’industrie financière" à l’honnêteté nécessaire, nous devons en quelque sorte généraliser, laïciser les valeurs éthiques particulières aux différentes communautés, qu'elles soient ethniques, idéologiques, de classes ou de castes, philosophiques ou religieuses - communautés athées et agnostiques incluses -. Nous devons nous appuyer sur les valeurs universelles véritablement communes présentes au coeur de toutes les morales; celles qui croient au ciel et celles qui n'y croient pas. J'en compte quatre: interdit de l'inceste, interdit de la violence, du mensonge et du vol. L’inceste, je n'insiste pas. Mais pratiquer la violence -qui commence par le mépris-, le mensonge et le vol relèvent d’étroitesses finalement voisines; privatives de liberté, d’égalité et de fraternité. Une monnaie sincère y est allergique avec ou sans Dieu inscrit dessus.

L’exigence éthique est nécessaire à tout échange et, au fond, nous n'avons pu inventer des monnaies que parce qu'un début de confiance régnait. L'éthique est naturelle à notre espèce; voilà la révèlation -Dire cela n’est pas anti-religieux mais élargissement du religieux jusqu'à l'universel- La conscience morale spontanée de notre espèce est au moins aussi forte que l'envie de violenter, de mentir ou de voler très rapidement acquise par la contamination précoce de contre-exemples. Charles Darwin a écrit:" Nous ne pouvons freiner notre sympathie, même sous l'effet de la raison la plus rigoureuse, sans détériorer la part la plus noble de notre nature".
L’exigence éthique est aussi d'ordre esthétique. Elle sera toujours avec nous, décuplée, centuplée monétairement par la rapidité et le nombre des opérations de banque à chaque seconde.
De plus, au vu de nos actuelles capacités de production, il ne faudrait plus crier à l'assistanat mais à la lucidité lorsque des voix s'élèvent pour que chaque humain de tout continent, enfant, adulte ou vieillard, bénéficie d’un revenu d'existence pour assurer son essentiel et sa dignité. Revenu indépendant de tout emploi puisque les techniques sont là, les hommes qualifiés également et que seul manque, non pas le travail, mais le travail rémunéré et les billets électroniques ou de papier qui vont avec. Pour faire formule: chacun a droit en héritage à au moins une pépite du stock mondial d'or.

Les politiciens de tous bords - malgré le recours au suffrage universel depuis des décennies - n’arrivent pas à maîtriser l’argent; sale comme propre. Au contraire c’est souvent lui qui les tient. Pour sortir de cette situation qui mène à l’horreur dans laquelle rien d’écologique (échec de Copenhague) ou de pacifique (G à 20 seulement sur 192 nations) ne peut vraiment avancer, il faut construire un nouveau pouvoir citoyen. En plus des traditionnels (et utiles) pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, nous avons besoin d’un pouvoir monétatif. Les politiques, la banque et le fisc ne vont plus seuls s'occuper d’argent. Ils auront à faire aux citoyens ordinaires -Tout le monde n'a-t-il pas une connaissance expérimentée (et ancestrale) de la monnaie? -
Des citoyens tirés au sort et acceptant cette tâche peuvent ébranler le château de cartes. Des citoyens complètés par des élus des travailleurs de la banque et des contributions pour unir bonne volonté et compétence. Copions et adaptons le système des jurys d'assises qui a relayé le pouvoir des rois afin de rendre justice en démocratie. Ce n'est pas une garantie sans failles mais un progrès mesurable.

La création monétaire n’est ni une affaire privée (situation actuelle), ni un monopole d’état (ex-URSS) mais c’est, sans conteste, une affaire publique. A nous de trouver les voies pour introduire un regard citoyen, non-routinier et informé à la BCE, au FMI, à l’OMC... Tant que la réforme mondiale attendue stagne, nous pouvons créer et utiliser des monnaies locales complémentaires, à condition qu’elles soient suffisamment équitables pour engendrer la confiance sur leur zone et par là éduquer. Depuis 1930 déjà des essais se multiplient: ils vont tous dans le sens d'une honnêteté incorruptible pour réussir. Et quand l'honnêteté est là, curieusement, des pouvoirs publics ont interdit...
Nous pouvons aussi, nous travailleurs, actifs rémunérés ou non, artistes, artisans, commerçants, fonctionnaires et ouvriers diviser le capitalisme. Jouer le capitalisme industriel (celui qui travaille) contre le capitalisme actionnarial (celui qui exploite des rentes avec intérêts sans fin croissants, corrompt avec ses stock-options et provoque avec ses bonus, parachutes dorés et salaires impudents).

Créer une monnaie honnête n’est pas tout. Crédit à qui et pour quoi faire? Les citoyens ordinaires ont là des initiatives à prendre pour construire un crédit social au moyen de conseils citoyens auprès des institutions financières. Peut-être en commençant par négocier non plus seulement individuellement, mais collectivement nos contrats de prêts, d’épargne et de crédits auprès des banquiers. Faisons pression pacifiquement mais fermement, sans oublier qu'une partie croissante d’entre eux, consciente mais démoralisée par la goinfrerie ambiante, est prête à coopérer avec nous. Nous devons gagner notre place d’acteurs économique et financier. Rappeler que l’argent déposé sur nos comptes et celui qui circule (et les nourrit) sont notre propriété ou notre location (souvent trop chèrement payée). Qu’elles doivent a minima se mettre d’accord avec nous pour en définir l’usage. La démocratie du bulletin de vote appelle la démocratie économique et monétaire.

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