lundi 7 octobre 2013

Livre "Eloge du mariage, de l’engagement et autres folies"

Source : Livre Eloge du mariage, de l’engagement et autres foliesde Christiane Singer


Extraits :

  • Si seulement tu savais toi-même qui tu es, qui tu héberges et qui t’habite, ce serait du moins un début. Mais n’est-il pas plus honnête d’en convenir : celui ou celle que tu prétends être, et dont le nom est pour mémoire sur ta porte et tes papiers d’identité, n’existe encore que de façon rudimentaire.
    […]
    … ce desaxé versatile qui fait régner en toi son ordre arbitraire voudrait se lier à un autre fou logé à la même enseigne que lui ?

  • La vraie aventure de vie, le défi clair et haut n’est pas de fuir l’engagement mais de l’oser.
    Libre n’est pas celui qui refuse de s’engager.
    Libre est sans doute celui qui ayant regardé en face la nature de l’amour – ses abîmes, ses passages à vide et ses jubilations – sans illusions, se met en marche, décidé à en vivre coûte que coûte l’odyssée, à n’en refuser ni les naufrages ni le sacre, prêt à perdre plus qu’il ne croyait posséder et prêt à gagner pour finir ce qui n’est côté à aucune bourse : la promesse tenue, l’engagement honoré dans la traversée sans feintes d’une vie d’homme.

  • Le non-engagement ne fait problème que lorsque son temps est passé, outrepassé – et que nous croyons devoir le prolonger sans remarquer que ce que nous prolongeons là n’est déjà plus vivant.

  • La liberté vit de la puissance des limites. Elle est ce jeu ardent, cette immense respiration à l’intérieur des limites.

  • La communication ne se joue pas dans l’adresse des moulinets, des parades et des voltes, dans le brio de l’escrimeur. Elle se joue entière dans les entrailles.

  • Car seule la confrontation avec mes blessures, seule l’effraction des placards – dans une souffrance qui somme toute n’est pas pire que celle que j’endure à enfouir et à nier ! – sont en mesure de me délivrer.

  • Le mariage n’est rien d’autre que la quête en chacun de sa vérité. Il fait expérimenter la relation réelle, vivante, celle qui n’esquive rien.

  • Entrer au service de la vie est un devoir d’honneur.
    Mais qui a songé à le dire ? A dire aux époux qu’ils partent sans ticket de retour pour une odyssée et que le voyage va aussi les mener à travers des forêts sombres, des steppes désertiques ? et qu’ils vont connaître la lassitude, la sensation de se devenir étrangers l’un à l’autre et à soi-même ? qu’ils traverseront des contrées dont la langue leur sera inconnue et où tout ce qu’ils auront appris ne servira de rien ? et qu’il y aura des moments peut être où ils seront plus seuls – ensemble – que seul, par une nuit d’orage, au bout d’une digue battue par les vagues ? Qui a songé à leur dire qu’une seule chose les portera : la fidélité à leur plus haute espérance – à ce qui leur a été donné de pressentir à l’instant où ils ont le plus aimé 

  • Une promenade hier à travers le verger m’éclaire. C’est l’hiver et tous les arbres fruitiers sont plus semblables à de grands balais de bruyère, le manche fiché au sol, qu’à ce que nous nommons arbre. Celui qui céderait à la logique des sens, à l’impulsion d’un robuste réalisme constaterait que la vie a quitté ces arbres et donnerait l’ordre de les abattre. Il n’apprendrait jamais que les lois de la nature ont prévu quelque chose d’invraisemblable connu sous le nom de printemps.

  • Cette nuit j’ai rêvé de noces qui dureraient longtemps – et où chacun apporterait un cadeau singulier : du temps.

  • Beaucoup ont cru qu’un bon mariage était la promesse échangée qu’il ne se passerait plus rien ni pour l’un ni pour l’autre.

  • Surtout ne pas bouger, ne pas respirer, ne pas regarder à droite ni à gauche, et l’effet sera parfait.

  • La seule manière que nous ayons d’honorer la vie est d’oser l’aborder de neuf chaque jour sans la grever de nos attentes – oser l’unicité du jour neuf !

  • Le mariage ne nous veut pas présentables, il nous veut vivants ! – et il nous fera perdre la face jusqu’à ce que, sous nos masques, apparaissent nos vrais visages.

  • Quand on s’engage dans une sacrée aventure – et dans une aventure sacrée – l’hypocondrie n’est plus de saison. « Avez-vous peur de mourir ? » Le risque est total. Simplement. Limpide et total.

  • Un beau jour, une question anodine est parvenue à tes oreilles : serais-tu d’accord pour prendre soin d’un tout petit espace de ce monde ?
    […]
    Derrière le sens du sacrifice s’est embusqué le goût du pouvoir : tu vas croire devoir tout régenter – là dehors – et tu vas te mettre au travail.
    […]
    Que s’est-il passé ? Car il n’y a pas à douter : l’intention était bonne au départ. Simplement un terrible malentendu a eu lieu. C’est la nature de ta tâche qui t’a échappé. L’œuvre qui t’était confiée n’était pas l’autre, c’était toi. C’était à ton humanité, à ta loyauté que tu étais invité à travailler, pas à celle de l’autre !

  • Ici on aime pour aimer. On sert pour servir. On vit pour être en vie.
    […]
    Tu es convié à aimer et à servir pour que sur terre SOIENT l’amour et le service.

  • De la fidélité, je n’ose rien dire car tout ce que je pourrais en dire serait faux ou serait juste en son temps. Et ce qu’on objecterait serait faux et serait vrai : en son temps. Car chaque situation unique a sa vérité unique.
    En fidélité comme en amour, tout a lieu pour la première fois et une seule fois.

  • La première de toutes les fidélités, nous la devons à la vie qui est en nous. Cette fidélité là, à certains moments cruciaux, peut ressembler, vue du dehors à une infidélité.Consciemment ou non, n’avons-nous pas fait serment de ne jamais laisser s’embourber dans l’insignifiance cette vie qui nous a été transmise par le sacre de la naissance ?Chaque fois que le danger rôde de la perdre en futilités, en broutilles, chaque fois que l’anesthésie la gagne ou que l’asphyxie la plombe, comment ne pas réagir ? Comment ne pas courir ouvrir les portes et les vantaux ?Il y a des « appels » dans l’ordre du quotidien (un besoin de solitude, un désir de voyage, de repli, de recul, de retraite, une amitié ardente) qui signalent à l’autre : « tu m’as aimé pour cette vie qui m’habitait. Elle menace de tarir. Pour la refaire jaillir, je dois faire ce pas qui peut être t’effraie ; mais je dois le faire par respect pour moi et pour toi. »Exiger de celui qui parle ainsi qu’il fasse taire cet appel, c’est mettre en chantier la lente transformation du foyer en maison de morts.Celui ou celle qui a été appelé à se mettre de quelque manière en mouvement et qui a été retenu – tant pour de bonnes raisons que par peur, par convention – ne pardonnera pas dans son for intérieur à celui (celle) qui d’un seul mot peut être a scellé à son pied un boulet. Il reste. Elle reste. Mais qui reste au juste ? Et quelle part s’éloigne ou s’éteint en catimini ? Et si c’était précisement la part vibrante pour laquelle nous nous sommes aimés ?

  • Le jardinier ne peut pas monter la garde contre les mulots, les taupes, les chenilles.
    […]
    Il ne peut que « tenter de mettre toutes les chances du côté de la plante » et garder vivant avec elle un dialogue.

  • Je ne peux pas abolir ton destin, ni t’éviter épreuves et difficultés, ni enrayer tes échecs, ni provoquer ta réussite, ni entraver tes rencontres. Impossible de prendre les commandes de ta vie, de m’immiscer entre toi et ta peau. Je ne peux que t’assurer de ma loyauté – ne jamais laisser tarir le dialogue entre nous, le raviver de neuf chaque jour. Mieux encore : je ne peux que respecter l’espace dont tu as besoin pour grandir. Te mettre à l’abri de ma trop grande sollicitude, de tout envahissement de ces rhizomes souterrains que sont les discrètes et indiscrètes manipulations de l’amour.[…]Jamais je ne tisserai pour toi les fils de tes rêves ni de tes pensées. Et comme tu étais seul à ta naissance, tu seras seul devant ta mort et seul, mille fois, dans les nuits d’insomnie quand un chien aboie au loin ou quand une voix que tu es seul à entendre t’appelle.Vouloir me perdre en toi, me jeter en toi, corps et biens, T’envahir. Te combler. Te faire gardien de mes propriétés ! Il n’est pire cruauté.Car tu as une vocation, unique, une œuvre à mener à bien.Toi-même.Et pour cela, il te faut tout l’espace qui est en toi.[…]Le cadeau que je peux te faire, c’est de retirer de toi toute la volonté de transformation que j’y ai mise – par zèle ou par ignorance – la retirer de toi pour la remettre à sa vraie place : en moi.[…]
    Garde tes distances sans faiblir. Il n’est que l’Eros qui puisse les abolir – pour les faire renaître tout aussitôt.
    Garde tes distances. Non par froideur. Garde-les avec ferveur.

  • Ces êtres de dialogue, de partage et de mouvance que nous sommes, vivent de la magie des rencontres, meurent de leur absence.

  • Si l’un des époux ne supporte pas que l’autre vibre, vive et aime en dehors de sa présence, s’il se met à rêver d’être la seule source de son bonheur, il peut avoir au moins une certitude : celle de devenir très vite la seule source de son malheur.

  • Impossible d’extirper de la vie de l’autre, comme on le ferait de tiques dans le pelage d’un chat, les rencontres qui importent pour lui.
    Par un mystère, impossible à élucider, ce sont précisément toutes les rencontres d’une vie qui nous font peu à peu advenir.

  • Dans une indescriptible souffrance, l’époux (l’épouse) a vu une trahison là où lui (ou elle) n’a fait que traverser une tempête et s’étonne encore d’être vivant(e). Si la chance veut que l’on ait attendu(e), qu’on ait pressenti la nature du cataclysme, il se peut alors que pour les deux rescapés, dans la gratitude et le respect mutuels, commence un amour à la fois fort et simplifié. Il se peut

  • Où est ma mort ? demande un adepte au maître. Sous tes pieds ; tu es debout sur elle, répond le maître.
    Ainsi de la famille. Elle est sous tes pieds. Tu es debout sur elle.

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