mercredi 28 décembre 2022

Un petit peu de vigilance face aux mouvances/pensées écofascistes

Source : https://www.terrestres.org/2022/11/18/enracinement-identitaire-ou-attachements-terrestres-conflits-autour-de-la-rehabitation-du-monde/

Non pas aller chercher une identité qui aurait « une seule racine » dans un même sol figé, mais des identités qui se déploient « les racines vers le haut » (Édouard Glissant). 

Extraits

Une catastrophe menace directement l’habitabilité de ce monde. Il devient difficile de résister aux chaleurs, aux pluies violentes, aux crises et aux conflits sociaux, parfois tout cela à la fois, surtout depuis de gigantesques espaces urbains bétonnés et nourris par des sols agricoles de moins en moins fiables. Pour peu que l’on prenne ces menaces au sérieux, alors l’évidence serait peut-être celle-là : il nous faut parvenir à transformer radicalement nos manières d’habiter. Réhabiter autrement que selon les règles de l’accumulation de la valeur capitaliste, réhabiter en cultivant des réponses aux catastrophes qui nous précèdent et à celles qui viennent, réhabiter en reprenant en main petit à petit nos moyens de subsistance. Dès lors, pour l’écologie politique, l’enjeu serait de multiplier ceux et celles qui, attaché-e-s à leur territoire, sont prêt-e-s à le défendre, à entretenir son habitabilité voire à la recréer.

La question des formes d’attachements au territoire est en même temps l’un des terrains conflictuels clés pour l’écologie politique. Sur le plan des idées, nous héritons en Europe et en France d’une histoire politique trouble sur la question de l’attachement à la terre dont toute une partie est réactionnaire, nationaliste et identitaire. En effet, l’idée d’une Nature originelle, le Local ou l’Enracinement sont désormais des thèmes centraux du référentiel idéologique de la droite réactionnaire. Les tendances écofascistes contemporaines proposent une « écologie enracinée » ou prônent une défense patriotique de l’environnement, tout en agitant sans cesse la chimère de l’immigration coupable de la catastrophe. Comment faire face à cette appropriation de l’écologie par l’extrême-droite, depuis un point de vue Terrestre ? Et faut-il, à l’inverse, se réapproprier les questions que l’extrême-droite a faites siennes, telles que l’identité ou l’appartenance, pour amorcer les basculements terrestres dont nous avons besoin ?

[...] 

Aussi, même à l’intérieur de nos frontières, nos identités et nos récits ne peuvent pas se contenter d’être ceux de l’État Français et de ses régimes successifs, pas plus que ce ne peut être le récit du progrès linéaire vers une société libérée de ses contraintes naturelles. Car il n’y a pas réellement d’Histoire de France, pas plus qu’il n’y a d’Histoire humaine unique du point de vue « habitant ».

Aujourd’hui, rares sont les discours à propos de ce dont nous venons qui ne versent dans un mélange douteux entre fantasme de la ruralité et posture passéiste voire réactionnaire. Nous avons pourtant besoin de discours qui nous relient, qui nous attachent à des territoires, et qui nous replace dans l’héritage vivant de ces multiples identités que l’État a homogénéisées, si l’on veut rompre avec cette “culture du déracinement”. Non pas aller chercher une identité qui aurait « une seule racine » dans un même sol figé, mais des identités qui se déploient « les racines vers le haut » (Édouard Glissant). C’est-à-dire des identités vivantes et créatrices de mondes multiples que les perspectives décoloniales ont solidement théorisé depuis. Ces perspectives n’ont pas fini d’inspirer ce chantier théorique et pratique que l’on se propose de mener. Plutôt qu’un enracinement, ce que l’on peut envisager, c’est de faire monde en cherchant des formes d’organisation communautaire intéressantes, en veillant à ce que des coutumes vivantes telles que les danses traditionnelles ne deviennent pas du folklore, en se réappropriant des savoirs situés (naturalistes, artisanaux, de soin), en favorisant la créativité et la recherche d’intensités dans la vie sociale car c’est finalement tout cela qui permet de faire multitude.

Les espaces du déracinement sont le produit d’un processus historique et économique visant à optimiser la circulation et la production de valeur. Malgré tout, il persiste dans ces lieux désolés une vie collective ritualisée, des histoires, des résistances, des pratiques de subsistance et elles font émerger des sujets de lutte. Ces histoires sont autant de ressources à mobiliser aujourd’hui dans la lutte contre l’écofascisme, aux côtés de tout un ensemble d’autres fronts de lutte à mener, sur le terrain idéologique29 comme pratique30. Peut-être alors avancera-t-on vraiment dans notre rupture avec la colonialité qui imprègne notre compréhension de l’appartenance à un quelque part. On saura peut-être davantage voir la multiplicité des figures et visages à même de composer des révolutions écologiques et terrestres au cœur de notre présent.

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