mardi 17 février 2009

AgoraVox : Journal La Décroissance

Source : AgoraVox

La décroissance » ne connaît pas la récession

Voici un mensuel papier qui se présente comme « Le journal de la joie de vivre » avec comme icône, une espèce de Marianne arborant un large sourire que l’on peut néanmoins qualifier d’incomplet, puisqu’il lui manque franchement une dent. Faut-il en conclure que la doctrine décroissante touche jusqu’à la mâchoire et que les soins dentaires sont parmi les premiers à réduire ? Ne concluons pas trop vite ! En attendant, le canard, lui, est plutôt complet avec des articles sociétaux et politiques, une rubrique internationale, des critiques de livres, des réflexions assez philosophiques, une page de courrier des lecteurs, une entrevue avec un authentique « décroissant » sorti de la vraie vie, l’encart consacré à « la saloperie qu’on achètera pas ce mois-ci » ou encore une BD satyrique.


La décroissance se veut politique


Toutes ces rubriques sont bien sûr rédigées à travers le prisme d’une pensée décroissante. Ici et là, au travers des pages, des phrases de personnalités publiques ou de petits événements (parfois rapportés par des lecteurs) sont cités et commentés avec une ironie souvent assez bien sentie, une ironie qui s’emploie à révéler les contradictions et les incohérences de notre civilisation consumériste. Une des grandes qualités de la rédaction de ce journal est justement la cohérence qui se révèle non seulement au fil des pages, mais dans la durée, au fil des ans et des numéros. Si bien qu’il y a quelques années, quand le prêche des objecteurs de croissance paraissait éminemment grotesque à presque tout le monde, l’éditorial n’adoucissait pas pour autant sa critique de la société de consommation « d’abondance ». Aujourd’hui, après les derniers douze mois marqués par la crise financière internationale, l’inflation du coût de la vie, les tensions sur les approvisionnements énergétiques et de matières premières, il semble que le discours décroissant dissone de moins en moins aux oreilles des gens, qui commencent à comprendre que l’idéologie d’une croissance matérielle ad vitam aeternam dans un monde limité, est pour le moins discutable et source de conflits que l’on pourrait peut-être éviter en changeant certaines priorités.


Les éco-tartuffes du développement durable


Le journal se montre particulièrement acerbe envers des personnalités publiques définies comme de faux amis de la cause écologiste dont les figures de proues sont sans conteste Nicolas Hulot et Yann Arthus-Bertrand. Ces derniers seraient des contre-exemples dans la mesure où ils courent le monde en hélicoptère, se serviraient de leur image pour faire du commerce, et seraient des espèces de chevaux de Troie de multinationales (comme L’Oréal) qui soutiennent leurs fondations mais dont on peut décemment douter de la sincérité d’avoir comme priorité la préservation de l’environnement et des ressources.


Le concept, pourtant en vogue, de « développement durable » hérisse le poil du vrai objecteur de croissance car il n’y voit qu’une supercherie qui offre au business actuel une façade « verte » pour mieux poursuivre en profondeur son exploitation irraisonnée de la planète et de l’homme. La décroissance matérielle s’associe donc logiquement à une remise en cause de toute la société industrielle moderne et de son système de valeurs. D’ailleurs, le journal est édité par l’association « Casseurs de pub » qui lutte pour regagner un peu du terrain physique et mental que la publicité sous toutes ses formes a abusivement colonisé. Ainsi, la décroissance correspond au rejet du système industriel qui produit des objets dont une grande partie nous seraient inutiles si le matraquage publicitaire ne nous suggérait (imposait ?) pas l’illusion qu’ils sont indispensables. Cela conduit de plus à une exploitation de populations de travailleurs qui manufacturent à un coût toujours bien décroissant lui, des aliénations envers des populations de consommateurs, le tout pour le plus grand profit de la fine caste qui orchestre ce grand bal mondialisant. Si intégrer l’élite dirigeante de ce système vous assure de régler vos problèmes matériels, c’est une autre histoire pour votre conscience ou ce qui en restera après quelques années au contact du pouvoir et de l’argent. Le véritable objecteur de croissance n’est pas un déçu du système capitaliste qui lui, éprouverait surtout, comme beaucoup, la frustration de ne pas avoir réussi dans CE système, mais qui se serait fort bien accommodé de cette société s’il était parvenu à y occuper une haute position. Non, le décroissant réel se caractérise par un rejet sans concession des valeurs et des principes qui le dégoûteraient toujours, quand bien même aurait-il été correctement loti par le système. L’objecteur de croissance pense également que si la civilisation actuelle repose déjà sur des principes injustes, monstrueux et suicidaires, il s’avère encore bien plus triste de songer aux générations futures et au monde dont elles hériteront.


« C’est à coup de harpon qu’on se maquille », Bénabar.


La décroissance s’applique également à démonter le grotesque d’un certain mode de vie occidental « turbo-compressé » qui consiste à prendre l’ascenseur ou sa voiture pour de petits déplacements toute la journée avant d’aller le soir transpirer sur le tapis roulant d’un club de sport ; à manger trop et surtout de la viande (qui a un faible rendement nutritif par rapport à la surface de sol nécessaire pour nourrir les animaux, élevés dans d’effroyables conditions d’ailleurs !) pour ensuite se faire traiter pour les maladies qui en découleront comme une fatalité (qui ne dérange pas tout le monde…) ; etc… Le problème tourne toujours autour de deux pôles complémentaires : nos excès matériels s’accompagnent presque toujours de dérives éthiques.


Un autre cheval de bataille, et non des moindres, du journal consiste en des diatribes permanentes envers les « confrères » financés par la publicité et détenus par de riches industriels, au premier rang desquels les marchands d’armes. Selon la décroissance, ces gazettes ne peuvent pas être objectives et travaillent grandement à la propagande et au maintien des intérêts du système en place.


Enfin, l’équipe de la décroissance affiche une sainte horreur de la « technoscience » (dont un des porte-drapeaux serait Claude Allègre) lorsqu’elle est présentée comme solution future à tous nos problèmes, et ce, après les avoir dans une large mesure créés. C’est une question de logique et ce serait soigner le mal par le mal : comment prétendre que les facteurs qui nous ont amené jusqu’au gouffre ne vont pas finir le travail et nous pousser dedans si on continue de leur accorder une confiance aveugle ?


Sans surprise, le nucléaire n’est pas porté aux nues par la décroissance : c’est une ligne de pensée d’une cohérence parfaite mais est-il si simple de croire que si quelques pays se débarrassent de l’arme nucléaire, les autres vont verser des larmes de joie et cesser leurs propres programmes ? Est-il si facile d’imaginer un arrêt brutal du nucléaire civil, sans compenser par des énergies fossiles, et sans drastiquement changer notre mode de vie ? Cela ne se fera-t-il pas plutôt sur de longues années où le nucléaire servira de transition entre le fossile et le renouvelable ou autre ? Cependant, la nature nous-en laissera-t-elle le temps ?...

Pour conclure,


sans accepter tout en bloc la pensée décroissante, je crois sincèrement que de nombreuses idées sont à méditer et que ce journal est un vecteur de réflexion très intéressant, souvent dissonant au milieu d’un paysage de presse assez « consensuel », voire « fashioned » sur ces grandes idées. Il ne faut pas avoir peur d’essayer de se remettre en cause parfois. D’abord essayer. La crise économique actuelle est sans doute le meilleur moment pour questionner notre système et notre mode de vie, avec toutes leurs conséquences et leurs impossibilités à terme. Et si la récession se subit, surtout par les plus faibles, (ainsi que se subiront les désastres écologiques à venir ?), la décroissance, elle, s’organise politiquement et n’est pas que matérielle : c’est tout un état d’esprit dont voici deux leitmotivs pour terminer : moins de biens, plus de lien ; moins de compétition, plus de coopération.

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