Tout le monde en parle. Des gens se font arrêter par la police parce qu'ils l'ont lu (entre autres...).
Rien que pour ça, ça mérite de s'y pencher.
Ce livre est ouvertement insurrectionnel dans sa seconde partie et c'est pour cela qu"on en parle.
Je trouve le début beaucoup plus intéressant dans son analyse de la société.
Et en tant que professionnel de l'insertion, j'ai savouré ce chapitre intitulé "Troisième cercle
«La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi?»"
Extraits
"Là réside le paradoxe actuel : le travail a triomphé sans reste de toutes les autres façons d’exister, dans le temps même où les travailleurs sont devenus superflus."
[...]
"L’ensemble des tâches qui n’ont pu être déléguées à l’automation forment une nébuleuse de postes qui, pour n’être pas occupables par des machines, sont occupables par n’importe quels humains – manutentionnaires, magasiniers, travailleurs à la chaîne, saisonniers, etc. Cette main d’oeuvre flexible, indifférenciée, qui passe d’une tâche à une autre et ne reste jamais longtemps dans une entreprise, ne peut plus s’agréger en une force, n’étant jamais au centre du processus de production mais comme pulvérisée dans une multitude d’interstices, occupée à boucher les trous de ce qui n’a pas été mécanisé. L’intérimaire est la figure de cet ouvrier qui n’en est plus un, qui n’a plus de métier mais des compétences qu’il vend au fil de ses missions, et dont la disponibilité est encore un travail."
[...]
"La menace d’une démobilisation générale est le spectre qui hante le système de production présent. Il y a un risque sérieux que nous finissions par trouver un emploi à notre désoeuvrement."
[...]
" Le grouillement de tout ce petit monde qui attend avec impatience d’être sélectionné en s’entraînant à être naturel relève d’une tentative de sauvetage de l’ordre du travail par une éthique de la mobilisation.Être mobilisé, c’est se rapporter au travail non comme activité, mais comme possibilité. Si le chômeur qui s’enlève ses piercings, va chez le coiffeur et fait des projets» travaille bel et bien «à son employabilité», comme on dit, c’est qu’il témoigne par là de sa mobilisation. La mobilisation, c’est ce léger décollement par rapport à soi, ce minime arrachement à ce qui nous constitue, cette condition d’étrangeté à partir de quoi le Moi peut-être pris comme objet de travail, à partir de quoi il devient possible de se vendre soi et non sa force de travail, de se faire rémunérer non pour ce que l’on fait, mais pour ce que l’on est, pour notre exquise maîtrise des codes sociaux, nos talents relationnels, notre sourire ou notre façon de présenter. C’est la nouvelle norme de socialisation. La mobilisation opère la fusion des deux pôles contradictoires du travail : ici, on participe à son exploitation, et l’on exploite toute participation. On est à soi-même, idéalement, une petite entreprise, son propre patron et son propre produit. Il s’agit, que l’on travaille ou non, d’accumuler les contacts, les compétences, le « réseau », bref : le « capital humain». L’injonction planétaire à se mobiliser au moindre prétexte – le cancer, le «terrorisme», un tremblement de terre, des SDF – résume la détermination des puissances régnantes à maintenir le règne du travail par-delà sa disparition physique.
L’appareil de production présent est donc, d’un côté, cette gigantesque machine à mobiliser psychiquement et physiquement, à pomper l’énergie des humains devenus excédentaires, de l’autre il est cette machine à trier qui alloue la survie aux subjectivités conformes et laisse choir tous les «individus à risque», tous ceux qui incarnent un autre emploi de la vie et, par là, lui résistent. D’un côté, on fait vivre les spectres, de l’autre on laisse mourir les vivants. Telle est la fonction proprement politique de l’appareil de production présent.
S’organiser par-delà et contre le travail, déserter collectivement le régime de la mobilisation, manifester l’existence d’une vitalité et d’une discipline dans la démobilisation même est un crime qu’une civilisation aux abois n’est pas près de nous pardonner ; c’est en effet la seule façon de lui survivre."
En intégralité en PDF chez l'éditeur.
La fiche sur le site de l'éditeur : La Fabrique
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