lundi 23 mars 2015

Les ZAD sont-elles une nouvelle forme de lutte ?

Source : MOC




Les ZAD sont-elles une nouvelle forme de lutte ?
Voici quelques traits saillants des « ZAD » et des « zadistes » que j’ai pu vivre et partager sur la ZAD de Sivens, dans le Tarn.

Les ZAD sont-elles une nouvelle forme de lutte ?
Au regard de l'histoire, proche ou lointaine, certainement pas.
Au présent, en France, certainement.

C'est différent d'un mouvement, car ces personnes ne rentrent pas chez elles le soir. Chez elles, c'est là. Leur travail, c'est là. Leur magasin, c'est là... la vie est au coeur de la lutte. Toute la vie. Toutes les dimensions de la vie, sans les séparer.
C'est différent d'une manifestation, car le temps long fait qu'une micro-société s'y construit, avec ses rôles sociaux, ses circuits économiques, ses circuits politiques, ses conflits.
C'est différent d'une occupation, car il y a cette possibilité d'y vivre à moyen terme, d'y emménager, c'est un lieu de vie possible, au delà de la lutte.
C'est différent d'une révolution, car on ne cherche pas à renverser le "pouvoir" d'en haut pour le prendre d'en haut. On fait descendre le pouvoir ici, pour montrer ses objectifs, son impuissance donc sa violence. Et Rémi a été tué.
C'est différent d'un programme politique parce qu'on y expérimente en vrai ce dont on parle, ici et maintenant. Le but premier n'est pas d'avoir raison ou d'imaginer le "bon système", mais de développer la puissance à la base, seule garante de la réalité démocratique.
C'est différent d'une grève, car on n'y défend pas son emploi, son travail, son revenu. On y défend les conditions même de la vie humaine.
Il n'y a pas de succès ou d'échec, car vivre ne connait ni succès ni échec. Ce qu'on y vit, quoi qu'il en soit, donne de la consistance à ce territoire, au monde que l'on combat, au monde auquel on aspire, à ce qu'on est, à la vie.

Comment lutter ? En abandonnant le mythe d'un monde sans lutte, sans conflit ?
Pourquoi les militants militent ? 
Pour faire progresser l'humanité ? Pour y arriver de leur vivant ? Pour dire "ça c'est fait" ? Pour rentrer ensuite à la maison ?
Qui milite parce qu'il faut ? Qui en a marre des rassemblements, des réunions, des débats, des avis contradictoires, des divergences ? Qui en a marre que ce à quoi il aspire n'arrive pas plus vite ? Qui pense que ce qui est, ne devrait pas être ? Qui pense que le monde devrait être totalement en harmonie et en paix ? 
Qui a de la joie à être là ? Qui a de la joie à être dans ce monde ?
Qui a de la joie à lutter ? Qui a de la joie à accepter ce qui est et à s'engager pour le faire être ce à quoi il aspire, sans illusion, en laissant une place aux aspirations des autres ?
Est-ce que nous luttons pour ne plus lutter ?
Est-ce que nous mangeons pour ne plus manger ensuite ? Est-ce que nous dormons pour ne plus dormir ensuite ? Est-ce que nous aimons pour ne plus aimer ensuite ?
La vie, c'est la lutte. La lutte, c'est un art de vivre.
C'est à dire la reconnaissance des conflits comme inhérents à la vie.
C'est à dire la reconnaissance fondamentale de l'autre, de l'altérité, la sienne, la mienne. 

Extrait d'un livre du livre A nos amis - Comité invisible
Le conflit est l'étoffe même de ce qui est. Reste à acquérir un art de le mener, qui est un art de vivre à même les situations, et suppose finesse et mobilité existentielle plutôt que volonté d'écraser ce qui n'est pas nous.

Comment lutter ? En équilibrant autrement notre rapport au monde ?
Si l'on convient avec Einstein que "La folie, c'est se comporter de la même manière et s'attendre à un résultat différent." Pourquoi, dans notre rapport au monde, répétons-nous symétriquement les mêmes traits que ceux qui fondent la modernité et dont nous dénonçons les effets : utilitarisme et quantitativisme, déterritoralisation, ingratitude.

Etre sensible au monde.
Le réchauffement climatique n'est pas seulement dans les rapports du GIEC. Il est surtout dans l'œil du jardinier.
Habiter le monde.
La crise ne se regarde pas depuis l'espace, comme des extraterrestres. Surplombants. Pouvons-nous descendre sur terre, écouter et nous connecter à la réalité d'autres personnes, AVANT de les "conscientiser", AVANT de les "sensibiliser".
Célébrer le monde.
Qui est émerveillé plus d'une fois par an par le soleil levant, l'éclatement des bourgeons, le souffle du vent...

Comment lutter ? En vivant, simplement ?
"Nous ne défendons pas la Nature. Nous SOMMES la Nature qui se défend."
Le verbe être.
"Je suis, je vis" : quelle puissance !
"Je me pose au milieu d'une vallée et je montre que le plus important est simplement de vivre et d'être" : quelle subversion ! 
"Je vis de bouts de ficelle et j'ai la banane !" : quel rappel salutaire !
"Je construis avec les autres, dans ET sans le système, des conditions de vie autonome" : quel contre pouvoir, quelle sécession !

Comment lutter ? Sur le terrain de la condition humaine ?
De même qu'il n'y a pas LA Justice, mais une suite de situations dans lesquelles on se bat pour elle, pour qu'elle soit, ici et maintenant.
De même en défendant ce petit bout de terre, en montrant qu'on veut juste y vivre, qu'on peut juste y vivre, on défend toute LA Terre.
Sur les ZAD, je ne m'oppose pas à CET aéroport, CE barrage. Je m'oppose au monde qui détruit les conditions de la vie, les conditions de la vie humaine, les conditions qui nous permettent d'exprimer notre humanité. 
Affirmer : "ce petit bout de terre est plus important que tout".
C'est défendre la condition humaine.

Comment lutter ? En apprenant à lutter ?
Ne pas toujours respecter la loi. Ne pas toujours obéir aux forces de l'ordre. Ne pas toujours respecter la propriété privée. Ne pas toujours respecter les machines. 
Rencontrer des gens divers, nouer des relations, tisser des réseaux, établir des moyens de communication efficaces et de proximité.
S'approvisionner, cueillir, se nourrir. Prendre soin.
Se protéger du froid, du chaud, du mouillé.
Construire, réparer, bricoler, fabriquer, se réapproprier les techniques.
Débattre. Accepter le point de vue de l'autre. Accepter les actions de l'autre, même sans y souscrire à 100%.

Comment lutter ? En ne se laissant pas produire, en ne se laissant pas agir ?
C'est qui un zadiste ? Et un non zadiste ? C'est qui un NoTAV ? Et un pas NoTAV ?
Par leur ancrage, le temps long et la diversité des actions et des personnes impliquées, ces luttes déjouent ceux qui cherchent à les enfermer dans une case et donc à les séparer de "la population". Elles ne se laissent pas produire en tant que sujet politique.

Comment lutter ? En s'attaquant aux flux.
Le pouvoir est logistique.
Le pouvoir est dans ce qui tisse l'organisation de nos vies de l'intérieur : infrastructures, réseaux, routes, lignes, flux.
Les luttes contre les grands ou petits projets nuisibles actent cette intuition.

Comment lutter ? En ne convergeant pas d'abord ?
Les ZAD sont "non convergentes à priori".
Elles mettent en mouvement plusieurs collectifs pour un petit bout de terre de rien du tout. Et encore d'autres collectifs autour, territoriaux, éphémères. Personne ne surplombe et ne dirige l'ensemble du sujet. Chaque groupe a la responsabilité de ce qu'il fait. Et ça n'empêche pas le but de converger, à posteriori, de fait.
Cette non convergence, c'est la vie.
La convergence, c'est le point de vue d'en haut, une seule tête ! Le point de vue d'en haut, c'est celui des commissaires. Les commissaires de POLIce ou les commissaires POLItiques.
Les zadistes sont malPOLIs.

Comment lutter ? En fondant des communes ?
Les ZAD sont des fondations politiques. 
Elles fondent des communes, des cités.
Et les débats qui vont avec.
Ce n'est pas simple. Mais cela soigne bien de l’impuissance généralisée.

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