mardi 22 septembre 2009

Pensée magique et technologie

Source : LeMonde.fr

Par Hervé Kempf

Bien sûr, il n'y a rien à voir entre nous, Occidentaux éclairés du XXIe siècle, et les misérables peuplades qui vouaient un culte au cargo ou attachaient des pouvoirs surnaturels aux esprits de la forêt. Non, nous sommes rationnels, libres, conscients, irréductibles à toute trace de pensée magique. La pensée magique ? L'idée que face à une situation inextricable, des forces mystérieuses vont intervenir, si on sait les solliciter avec les égards appropriés, et résoudre le casse-tête.

Oh, une auto électrique ! Elle est propre, elle est belle, elle ne pollue pas, elle arrive. Et hop ! Nous voilà débarrassés de ce satané problème de la voiture à pétrole qui émet plein de CO2. Ah, merci, merci, Technologie, merci Puissance miraculeuse de la Recherche et Développement, merci Ingénieurs et Chercheurs, prêtres du monde parfait, merci Capitalistes désintéressés, merci Industrie automobile au service de l'humanité !

Je caricature ? Non. Dans le capitalisme finissant, la technologie est une pensée magique, destinée à évacuer les questions délicates que génèrent les formes des relations sociales dans cette phase de l'histoire. Car l'auto, autant qu'objet technique, est un usage social.

Point central du dossier de l'auto électrique : d'où vient l'électricité ? Dans le monde, majoritairement de la combustion du charbon.

Si bien que l'absence de l'émission de CO2 par la voiture est compensée par l'émission de CO2 lors de la production d'électricité. Et d'ici à ce que les renouvelables soient à un niveau suffisant pour prendre le relais, de l'eau aura coulé sous les ponts. L'énergie nucléaire ? Pensée magique. Alignez les milliards d'euros et placez sous le tapis déchets nucléaires et risques d'accidents.

Autre point : la fabrication des autos et de leurs composants (notamment les batteries au lithium) a un impact environnemental majeur. Il faut opérer le bilan total de l'objet, de la production à la disparition. Une analyse dite du "cycle de vie" singulièrement absente des débats.

Mais l'enjeu est au fond ailleurs. D'accord, bien sûr, pour améliorer les techniques. Mais tout progrès sera annulé si on laisse augmenter le parc automobile. The Economist écrit ainsi sans s'émouvoir que "dans les prochaines quarante années, le nombre total d'autos dans le monde devrait quadrupler pour atteindre 3 milliards de véhicules". Accepter cette idée, c'est se garantir l'aggravation de la crise écologique dans ses pires manifestations.

Il nous faut sortir de la pensée magique, arrêter de croire que la technologie tranchera les choix que nous ne voulons pas faire. La question de l'auto se pose en fait ainsi : comment allons-nous faire pour diviser par deux le parc automobile des pays développés ?

Passer en France, par exemple, de 37 millions de véhicules à 18 millions d'ici quarante ans ?

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