mercredi 5 décembre 2018

”Chaque personne qui insultait un gilet jaune insultait mon père”

Edouard Louis : ”Chaque personne qui insultait un gilet jaune insultait mon père”
L'écrivain analyse le mouvement des gilets jaunes dans un texte qu'il nous a transmis.
https://www.lesinrocks.com/2018/12/04/actualite/edouard-louis-chaque-personne-qui-insultait-un-gilet-jaune-insultait-mon-pere-111149208/



Extrait
[...]
Il y a différentes manières de dire : "Je souffre" : un mouvement social, c'est précisément ce moment où s'ouvre la possibilité que ceux qui souffrent ne disent plus : "Je souffre à cause de l'immigration et de ma voisine qui touche des aides sociales", mais : "Je souffre à cause de celles et ceux qui gouvernent. Je souffre à cause du système de classe, à cause d'Emmanuel Macron et Edouard Philippe".
Le mouvement social, c'est un moment de subversion du langage, un moment où les vieux langages peuvent vaciller. C'est ce qui se passe aujourd'hui : on assiste depuis quelques jours à une reformulation du vocabulaire des gilets jaunes. On entendait uniquement parler au début de l’essence, et parfois des mots déplaisants apparaîssaient, comme "les assistés". On entend désormais les mots inégalités, augmentation des salaires, injustices.

Ce mouvement doit continuer, parce qu'il incarne quelque chose de juste, d’urgent, de profondément radical, parce que des visages et des voix qui sont d'habitude astreints à l'invisibilité sont enfin visibles et audibles. Le combat ne sera pas facile : on le voit, les gilets jaunes représentent une sorte de test de Rorschach sur une grande partie de la bourgeoisie ; ils les obligent à exprimer leur mépris de classe et leur violence que d’habitude ils n’expriment que de manière détournée, ce mépris qui a détruit tellement de vies autour de moi, qui continue d’en détruire, et de plus en plus, ce mépris qui réduit au silence et qui me paralyse au point de ne pas réussir à écrire le texte que je voudrais écrire, à exprimer ce que je voudrais exprimer.

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