Source : https://www.youtube.com/watch?v=0fwibZtmqtU
un bout plus original que les autres : vers la fin le chapitre, sur le rôle de la peur
et un peu aussi sa réponse à la question finale...
Source : https://www.youtube.com/watch?v=0fwibZtmqtU
un bout plus original que les autres : vers la fin le chapitre, sur le rôle de la peur
et un peu aussi sa réponse à la question finale...
si vous êtes vraiment fainéant, regardez juste la dernière minute ;-)
A voir, ne serait-ce que pour sentir les ambiances climatiques justement...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Extrapolations
Source : https://mrmondialisation.org/finir-locations-immobilieres/
Symbole de la société capitaliste de classes, la location immobilière permet à une minorité d’individus de s’enrichir en exploitant le travail de millions de citoyens. À l’heure où le logement représente une part de plus en plus conséquente du portefeuille des foyers, la question du droit à la propriété et la limitation des locations se pose très sérieusement.
Source : https://laviedesidees.fr/Generation-climat
Entre les « boomers »,
consommateurs sans complexe de l’essor économique d’après-guerre, et la
nouvelle génération anxieuse et mobilisée face aux répercussions
climatiques de ce même essor, le clivage est-il vraiment un conflit de
génération ?
Le graphique parle de lui-même...
Source : https://reporterre.net/Reforme-du-RSA-L-Etat-cherche-a-retenir-les-deserteurs
Avec sa loi « pour le plein-emploi », le gouvernement montre qu’il n’y a pas d’alternative au salariat, soutient le philosophe Aurélien Berlan. De quoi détourner des luttes et des modes de vie anticapitalistes.
Au-delà du travail, point de salut ! Le 14 novembre, le projet de loi « pour le plein-emploi » a été définitivement adopté à l’Assemblée nationale. Elle instaure la création, au 1er janvier 2024, d’un « réseau pour l’emploi » piloté par France Travail, le nouvel opérateur qui remplacera Pôle emploi. Elle prévoit aussi de nouvelles obligations : inscription de tous les bénéficiaires du RSA sur la liste des demandeurs d’emploi, signature d’un « contrat d’engagement » et réalisation de quinze heures d’activités hebdomadaires, sous peine de sanctions.
Comme le raconte Aurélien Berlan, philosophe et auteur de Terre et Liberté (éd. La Lenteur), cette loi n’aura pas pour seule conséquence de précariser les plus pauvres. Elle s’attaque aussi à toutes celles et ceux qui avaient fait de cette aide une sorte de revenu d’existence pour ne pas consacrer leur vie au salariat et imaginer d’autres formes de vie, s’investir dans les luttes écologistes, dans des projets non marchands ou même se lancer dans l’agriculture.
Reporterre — De quoi cette loi est-elle le nom ?
Aurélien Berlan — Cette loi s’inscrit dans la continuité de ce qui se fait en France depuis des années. Après la réforme sur les retraites et celle de l’assurance chômage, le gouvernement veut continuer à mettre la population au travail. Il cherche de nouveaux dispositifs pour forcer les gens à accepter des emplois et des conditions de travail dont ils ne veulent pas. C’est aussi une façon très claire de montrer qu’il n’y a pas d’alternative au salariat et au mode d’existence qui va avec.
On ne pourra plus vivoter aux marges de la société, bricoler sa vie loin des injonctions patronales et productives, il faudra nécessairement embrasser les impératifs de la mégamachine, la faire fonctionner, bon an mal an, pour survivre et avoir droit à ces quelques centaines d’euros par mois.
L’objectif du plein-emploi est une façade. C’est un mythe. Le gouvernement veut juste pourvoir les emplois dans les secteurs dits en tension, l’hôtellerie, le BTP, la restauration, etc. Ce sont souvent des métiers ingrats, des formes de néodomesticité détournée où les salariés se mettent au service d’une minorité aisée, avec une discipline de fer et un travail éprouvant. C’est normal que cela ne donne pas envie. Alors les autorités utilisent la contrainte. Ils recourent, comme on disait aux XVIII et XIXe siècles, à « l’aiguillon de la faim ».
C’est-à-dire ?
Cela a toujours été une obsession des classes dominantes que de vouloir mettre les pauvres au travail. Au début de la révolution industrielle, il y avait dans les pays occidentaux, et notamment en Angleterre, une masse non négligeable de vagabonds et de mendiants, expropriés de leurs terres, qui refusaient le travail en usine.
Les gouvernements de l’époque ont alors aboli les premières lois sociales — les « Poor Laws » qui assistaient les plus démunis — afin de les obliger à rejoindre les manufactures et les « working houses » où ils devaient travailler gratuitement. Les libéraux anglais disaient qu’il fallait recourir à « l’aiguillon de la faim » pour mettre au boulot les plus réfractaires et leur inculquer la morale du travail.
Aujourd’hui, la logique est la même. La devise du libéralisme, ce n’est pas le laisser-faire, comme on le prétend souvent dans les manuels d’économie, le libéralisme, c’est la contrainte, la force, la violence. On pousse les gens à accepter des emplois qui permettent aux riches et à une minorité de privilégiés de se décharger de ce qu’ils ne veulent pas faire, parce qu’ils jugent cela ingrat, déshonorant ou pénible. On ne laisse pas faire, on le fait faire à d’autres.
Derrière ce type de législation, le message est limpide : il n’y a plus de refuge où échapper aux pires formes de salariat et de subordination. On précarise les gens, on distille la peur du manque, de la misère et de la faim.
C’est donc un retour à l’ordre, une entreprise de normalisation ?
Tout à fait. Et cela n’arrive pas par hasard. Il y a en ce moment une désaffection massive vis-à-vis du travail. Une forme de désaffiliation. On le retrouve non seulement dans les boulots les plus difficiles et les secteurs que je mentionnais auparavant, mais aussi chez les cadres et les ingénieurs qui sont de plus en plus nombreux à vouloir déserter. On a rarement vu des taux de démission ou d’envie de démission aussi importants.
Le gouvernement cherche par tous les moyens à les retenir. Si les gens se disent qu’ils peuvent renoncer à leur boulot, obtenir des minima sociaux et se contenter de peu pour avoir un mode de vie plus en adéquation avec leurs valeurs, cela peut faire voler en éclats les soubassements du système.
Cette loi ne précarise donc pas seulement les plus pauvres, mais empêche aussi d’autres façons de vivre ?
Oui, même si cela ne concerne qu’une minorité de personnes par rapport aux 2 millions de bénéficiaires du RSA.
Une partie de la population a fait le choix d’une précarité choisie.
Elle a réduit ses besoins, renoncé au travail salarié pour vivre de peu
et ne pas passer son existence à devoir rembourser sa bagnole ou son
pavillon. Cette loi vise à boucher les possibles, à réduire notre
liberté pour faire de l’acceptation du salariat classique la condition sine qua non de l’intégration normale à la société.
« Ces aides permettent en partie de reprendre en main nos conditions d’existence et de retrouver de l’autonomie matérielle. »
Pourtant, le chômage ou le RSA sont aussi des moyens pour de nombreuses personnes de se dégager du temps pour s’investir dans des projets bénévoles, des associations ou des luttes...
C’est tout l’objectif de cette loi ! Il s’agit de tarir la main-d’œuvre bénévole qui contribue à fabriquer un autre monde et qui fait qu’il y a encore des luttes. C’est une façon de verrouiller les imaginaires, de détourner les gens de leurs pratiques non marchandes pour les faire entrer dans le droit chemin de la production et de la plus-value capitaliste.
Encore une fois, sociologiquement, cela ne représente pas grand monde par rapport à la totalité des bénéficiaires ou des ayants droit au RSA, mais dans nos luttes, notamment écologistes, la proportion de personnes engagées qui s’investissent à fond et qui sont au chômage ou au RSA est importante. Tout simplement parce qu’elles ont plus de temps, alors que la majorité de la population est essorée par le salariat.
Parmi les personnes qui ont fait le choix de la précarité choisie, le taux d’investissement associatif et de pratiques alternatives est sans aucun doute bien supérieur à la moyenne des Français. Le chômage ou les aides sociales permettent à de nombreuses personnes de se consacrer à plein temps au combat, de développer des pratiques d’entraide ou de lancer des projets qui ne cherchent pas la rentabilité économique. Ces aides permettent en partie de se libérer de la contrainte du travail salarié, pour reprendre en main nos conditions d’existence et retrouver de l’autonomie matérielle.
Dans votre livre, vous écrivez que « vivre libre, ce n’est pas être déchargé des nécessités de la vie, mais au contraire les prendre en charge nous-mêmes ». Est-ce possible, aujourd’hui, avec un temps plein classique et le salariat ? Le travail ne nous prend-il pas trop de temps ?
Si, évidemment. Satisfaire nos besoins fondamentaux sans outil industriel ou avec le moins de soutien possible des énergies fossiles est un emploi à plein temps. Le projet de l’autonomie est incompatible avec la généralisation du salariat qui nous cloue au bureau huit heures par jour, derrière les écrans ou l’établi.
Aujourd’hui, la boucle est bouclée : les lois antisociales durcissent les conditions de vie pour les chômeurs et ces gens-là sont obligés de vendre leur force productive. En parallèle, ils n’auront pas le temps de développer des pratiques d’autonomie ou d’autosubsistance collective et devront tout acheter au système capitaliste. Avec le salariat à temps plein, on est livré à un patron, mais aussi à la grande distribution et à l’industrie des énergies fossiles.
Source : https://reporterre.net/George-Monbiot-Derriere-chaque-mouvement-fasciste-il-y-a-un-milliardaire
![]() |
Nourrir le monde... sans dévorer la planète, de George Monbiot, aux éditions Les liens qui libèrent, octobre 2023, 368 p., 24 euros. |
George Monbiot est le chroniqueur écologiste le plus en vue dans le monde anglo-saxon. Sa colonne régulière dans The Guardian — un journal en accès libre et ne dépendant que de ses lecteurs, comme Reporterre — pourfend les destructeurs de la planète. De passage à Paris pour présenter la traduction de son dernier livre Nourrir le monde (Les liens qui libèrent), il a répondu à Reporterre sans mâcher ses mots.
Reporterre — Êtes-vous optimiste ?
George Monbiot — Oui. L’une des raisons pour
lesquelles les gens sont pessimistes est qu’ils pensent qu’il faut
convaincre tout le monde pour que le changement se produise. De nombreux
exemples historiques montrent que ce n’est pas vrai. Nous disposons de
données [1] qui montrent combien de personnes doivent être persuadées pour qu’un changement sociétal se produise : environ 25 %
de la population. Si vous regardez les attitudes à l’égard de
l’avortement, du mariage homosexuel, de la libération de la femme, du
tabagisme, de la ceinture de sécurité, il suffit d’atteindre cette
proportion pour que la bascule se fasse. Une fois qu’un nombre suffisant
de personnes est engagé, le reste de la population se met soudain à
suivre.
Alors pourquoi tant de gens en Grande-Bretagne, en France, en Pologne, en Allemagne... sont-ils opposés au mouvement écologique et votent-ils pour des partis très conservateurs ?
Malheureusement, l’extrême droite essaie d’atteindre son propre point
de bascule et partout, elle s’est montrée extrêmement efficace dans la
recherche de changements systémiques.
Le problème ne vient pas seulement de l’extrême droite, mais du fait qu’il existe une alliance entre les super-riches et l’extrême droite...
C’est vrai. Derrière chaque mouvement fasciste se cache un milliardaire qui le soutient discrètement. L’extrême droite désigne des boucs émissaires parmi les minorités : la colère du public n’est pas dirigée là où elle devrait l’être, c’est-à-dire vers les très riches qui sont les personnes qui détruisent nos moyens de survie.
Dans sa dernière encyclique sur l’écologie, le pape François parle de la nécessité de changer le « mode de vie irresponsable du modèle occidental ». Pourquoi les responsables politiques n’osent-ils pas dire la même chose ?
Aucun politicien ne semble prêt à le dire en dehors des partis Verts,
alors que c’est une réalité à laquelle nous devons confronter les gens.
Elle est présentée comme effrayante parce que nous avons normalisé des
formes extrêmes de consommation, même si nous savons qu’elles ne nous
rendent pas plus heureux. Il faut que cela change, sinon cela conduira
au plus grand malheur jamais connu dans l’histoire de l’humanité. Mais
c’est considéré comme impensable, non pas parce que la grande majorité
de la population ne pourrait pas le penser, mais parce qu’au
Royaume-Uni, la plupart de nos journaux sont détenus par des
milliardaires psychopathes qui ne vivent pas en Grande-Bretagne.
Pourtant, ils nous disent comment penser et comment vivre, et ils ont
plus d’influence sur les partis politiques que les électeurs. Ce sont
eux qui rendent impensable de dire aux gens qu’il faut consommer moins.
Comment démanteler l’alliance entre les ploutocrates [2]– comme vous les avez désignés récemment dans The Guardian – et l’extrême droite ?
Il faut commencer par cesser de s’inquiéter de leur poids. Si les révolutionnaires avaient pensé : « Les forces de l’oppression sont si énormes que nous ne pouvons pas envisager de les renverser »,
rien ne se serait jamais produit. Ce que nous savons, c’est que nous
pouvons atteindre très rapidement une masse critique. Ce qui semble
impossible à un moment donné devient inévitable au moment suivant. Nous
devons cesser de nous inquiéter d’eux et nous concentrer sur nos
tactiques et notre stratégie. Bien sûr, ce sera extrêmement difficile.
Au Royaume-Uni, des lois incroyablement oppressives ont été adoptées, en
vertu desquelles vous pouvez être jeté en prison pendant dix ans
simplement pour avoir manifesté.
Ont-elles été appliquées contre des écologistes ?
Oui. La loi sur la police de 2022 et la loi sur l’ordre public de 2023 sont les lois les plus répressives des protestations de toutes les soi-disant démocraties. Par ailleurs, en plus des poursuites pénales, les autorités publiques et les entreprises privées obtiennent désormais des injonctions à l’encontre de toute personne qu’elles n’aiment pas et ces personnes se voient contraintes de les payer. Certains de nos militants les plus efficaces voient leur vie entière détruite [3].
Les pouvoirs nous opposent tout ce qu’ils peuvent, mais c’est un
signe de leur peur. Car à mesure que la crise environnementale devient
évidente, il est de moins en moins possible de le nier. Cela devient une
crise existentielle pour l’industrie des combustibles fossiles,
l’industrie automobile, l’industrie de la viande, l’industrie
aéronautique, l’industrie minière et bien d’autres encore.
Comment faire face à une répression aussi dure ?
On a fait bien pire à nos ancêtres politiques, aux femmes qui ont essayé d’obtenir le droit de vote, aux militants des droits civiques, à ceux qui ont essayé d’obtenir l’égalité des droits, aux campagnes pour l’indépendance. Des milliers de personnes ont été tuées ou torturées. Cela se produit encore : des centaines de militants écologistes sont assassinés chaque année dans le monde. Ce que nous demandons aux gens de faire — résister à ce système monstrueux — est très difficile, mais pas aussi difficile que ce que d’autres personnes ont dû affronter dans le passé.
En fait, lorsque les gens voient que d’autres personnes paient le
prix fort pour leurs actions, ils les prennent plus au sérieux. Le
courage des militants me donne de l’espoir. Chaque fois que les
puissances oppressives pensent nous avoir écrasés, le courage des gens
revient en force.
Vous semblez apprécier la stratégie d’Extinction Rebellion (XR).
XR est très stratégique. Mais la pandémie
de Covid a interrompu sa campagne très efficace. On était proche d’un
point de bascule. Malheureusement, tout le monde a dû rentrer chez soi.
Nous devons reconstruire à partir de cette position et c’est très
difficile, notamment parce que la police et les politiciens sont plus
préparés cette fois-ci et qu’ils ont introduit des lois très
répressives.
Vous avez débattu avec le géographe Andreas Malm, auteur de Comment saboter un pipeline. Que pensez-vous du sabotage comme tactique de lutte ?
Avec Andreas Malm, la question porte sur la tactique. Je ne suis pas opposé à ce que des personnes sabotent des biens appartenant à des entreprises ou détruisent des infrastructures, tant que personne n’est blessé. Mon principal souci, c’est que cela expose les gens à des peines très lourdes. Les peines encourues sont si élevées que je ne peux pas encourager d’autres personnes à le faire, parce que je ne suis pas prêt à le faire moi-même.
Vous dites que les grandes organisations devraient être plus radicales. Que devraient-elles dire ?
Au Royaume-Uni, nous avons d’énormes organisations de conservation, le National Trust, la Royal Society for the Protection of Birds, le Wildlife Trust, dont la théorie du changement ressemble à ceci : « Les gens ne sont pas prêts pour de grands changements. Nous ne voulons pas les effrayer. Nous allons simplement proposer de petits changements, et un jour, tous ces petits changements feront le grand changement que nous voulons voir. » Cela ne peut pas marcher. Nous avons besoin d’un changement politique, économique, social et culturel complet. Ces organisations devraient pousser leurs membres à une désobéissance civile de masse.
Vous avez commencé votre chronique dans le Guardian en 1995. Qu’est-il arrivé à l’Angleterre depuis cette date ?
Une catastrophe. On avait un pays raisonnablement bien géré dans ses
fonctions de base, et tout cela a été détruit. Nos rivières sont pleines
de merde parce que le système d’égout ne fonctionne plus, parce que
pendant des années, aucun investissement n’y a été fait, parce que les
compagnies des eaux privées qui le gèrent n’ont fait qu’aspirer l’argent
pour le mettre dans les poches de leurs actionnaires. Nos chemins de
fer ne fonctionnent plus pour la même raison. Nos écoles s’effondrent
littéralement parce que certaines ont été construites avec un béton qui
ne dure que trente ans. Nos hôpitaux tombent en ruine. Le système
s’effondre sous nos yeux et il n’y a pas de mystère sur la cause de
ceci : l’idéologie néolibérale a transformé un système qui fonctionnait
plus ou moins dans l’intérêt de la population en un système qui
fonctionne dans l’intérêt des grandes sociétés.
Comment imaginez-vous le monde en 2030 ?
Quand les politiciens disent 2050, ils veulent dire jamais. 2050 est
devenu un synonyme de jamais. Il vaut mieux effectivement parler de
2030. Nous pourrions d’ici là avoir franchi des points de bascule
environnementaux, et être confrontés à un effondrement des systèmes
terrestres. Le type de changement possible est inimaginable. Les
changements politiques auxquels nous pourrions assister sont aussi
inimaginables. Une possibilité réelle est que l’extrême droite prenne le
pouvoir au Royaume-Uni en 2029, sous le drapeau du parti conservateur.
Mais si ces mauvaises choses sont imaginables, les bonnes choses le sont
aussi : nous pourrions voir des mouvements de masse irrépressibles et
dont la pression force le changement politique. Qu’elle force, par
exemple, le parti travailliste à réagir et à devenir un parti qui fait
ce qu’il dit.
Récemment, l’ex-président français Nicolas Sarkozy a dit que le vrai problème n’était pas le changement climatique, mais la démographie.
C’est ce que la droite dit toujours. C’est une façon de rejeter la responsabilité des consommateurs du monde riche sur les personnes les plus pauvres de la planète. En fait, nous nous dirigeons vers un plateau démographique au milieu du siècle, puis la population est susceptible de diminuer à partir de 2070 environ, et ensuite de façon très marquée. C’est le seul indicateur environnemental qui ne soit pas en train de crever le plafond à l’heure actuelle. Cependant, il y a une véritable crise démographique, c’est celle du cheptel, qui augmente de 2,4 % par an.
Quelles sont les conséquences de cette explosion de bétail ?
D’ici 2050, si les tendances actuelles se poursuivent, nous aurons 100 millions de tonnes d’êtres humains sur terre et 400 millions de tonnes de bétail supplémentaires. Il s’agit d’une catastrophe absolue, car pour subvenir aux besoins de ce bétail, il faut faire l’une des deux choses suivantes, toutes deux dévastatrices : la première est de les entasser dans d’immenses usines et à cultiver de la nourriture ailleurs, puis à déverser cette nourriture dans ces usines, qui produisent alors d’énormes émissions de nutriments, ce qui tue n’importe quelle rivière. L’alternative de l’élevage extensif nécessite de vastes étendues de terre. Aucune zone terrestre ne peut survivre à un élevage extensif massif, et vous avez donc le choix entre supprimer les rivières ou supprimer les terres. La seule option est d’arrêter de manger des produits d’origine animale.
Source : https://www.terrestres.org/2023/09/29/les-deux-piliers-de-lecosocialisme-democratique/
Temps de lecture : 13 minutes
Cet article a été initialement publié dans Monthly Review en septembre 2022. Il est traduit par Pierre de Jouvancourt.
En ce début de XXIe siècle, nous faisons face à une double crise. D’un côté, il s’agit d’une crise écologique : le changement climatique et d’autres pressions exercées sur le système Terre outrepassent dangereusement les limites planétaires. D’un autre côté, nous avons affaire à une crise sociale : plusieurs milliards de personnes sont privées d’un accès aux biens et aux services de première nécessité. Plus de 40% de la population humaine n’a pas les moyens de se procurer une alimentation nutritive ; 50% est dépourvue d’installations sanitaires sûres ; 70% n’ont pas accès aux soins de santé essentiels.
La privation est plus intense à la périphérie de l’économie mondiale, là où les dynamiques impérialistes d’ajustement structurel et d’échange économique inégal perpétuent la pauvreté et le sous-développement. Mais cette dépossession est également flagrante au centre : aux Etats-Unis, presque la moitié de la population ne peut s’offrir de soin de santé ; au Royaume-Unis, 4,3 millions d’enfants vivent dans la pauvreté ; dans l’Union Européenne, 90 millions de personnes vivent dans l’insécurité économique. En outre, ces structures de privation s’entrecroisent avec de brutales inégalités de race et de genre.
Aucun programme politique promettant d’analyser et de résoudre la crise écologique ne peut espérer un quelconque succès s’il ne s’attaque en même temps à la crise sociale. Ne répondre exclusivement qu’à l’une de ces crises ne fait que renforcer l’autre et finira par faire naître des monstres. Et déjà, sous nos yeux, les monstres sont en train d’apparaître.
Il est essentiel de comprendre que la double crise sociale et écologique est provoquée, en définitive, par le système de production capitaliste. Les deux dimensions de la crise sont les symptômes de la même pathologie sous-jacente. Par capitalisme, je ne veux pas seulement désigner les marchés, le commerce et les affaires comme tant de gens le pensent habituellement. Ces choses ont existé depuis des millénaires avant le capitalisme et sont plutôt inoffensives en elles-mêmes. Ce qui distingue le capitalisme et ce à quoi nous devons nous confronter est sa nature fondamentalement antidémocratique, sans laquelle il ne pourrait exister.
Oui, nous sommes nombreux et nombreuses à vivre au sein de systèmes politiques fondés sur l’élection – aussi corrompus et biaisés fussent-ils – où nous choisissons régulièrement des dirigeant·es politiques. Mais lorsqu’il s’agit du système de production, pas la moindre apparence de démocratie n’intervient. Le capital la contrôle presqu’exclusivement : je pense aux grandes entreprises, aux grandes sociétés financières et aux 1% qui détiennent la plus grande partie des actifs investissables. Le capital détient le pouvoir de mobiliser notre travail et les ressources de notre planète pour réaliser ce que bon lui semble, et de ce fait décide de ce que nous produisons, à quelle condition et comment le surplus que nous générons devrait être utilisé et distribué.
Lire sur Terrestres, Michael Löwy, Bengi Akbulut, Sabrina Fernandes, Giorgos Kallis, « Pour une décroissance écosocialiste », octobre 2022.
Permettez-moi d’être le plus clair possible : pour le capital, l’objectif primordial de la production ne consiste ni à répondre aux besoins fondamentaux, ni à réaliser un quelconque progrès social, et encore moins à mettre en œuvre des mesures écologiques concrètes. Bien plutôt, son objectif principal est-il de maximiser et d’accumuler du profit.
De ce fait, le système-monde capitaliste se distingue par des formes de productions perverses. Le capital oriente la finance vers des produits très rentables, comme les SUV, la viande industrielle, la fast fashion, les armes, les combustibles fossiles et la spéculation immobilière. Dans le même temps, il produit et reproduit des pénuries chroniques de biens et de services essentiels, comme le transport et la santé publics, l’alimentation de qualité, les énergies renouvelables et les logements abordables. Ce processus a lieu dans les économies nationales mais possède également des dimensions impérialistes évidentes. La terre, le travail et les capacités productives du Sud Global sont contraints d’alimenter les chaînes mondiales de marchandises dominées par les entreprises du Nord – qu’il s’agisse des bananes pour Chiquita, du coton pour Zara, du café pour Starbucks, des smartphones pour Apple ou encore du cobalt pour Tesla. Tout cela se fait au bénéfice du centre, à des prix dépréciés artificiellement, et au détriment de la production de nourriture, de logement, de soin, d’éducation et de biens répondants aux besoins nationaux. L’accumulation du capital au centre de l’économie-monde repose ainsi sur le siphonnage de la force de travail et des ressources de la périphérie.
Il devrait être donc évident que la pauvreté reste un phénomène très répandu dans une économie mondiale capitaliste, en dépit d’un haut volume de production global – et d’énergie et de matériaux dont les effets écologiques se situent bien au-delà des limites soutenables de la planète. Oui, le capitalisme produit trop, mais aussi pas assez de ce qu’il faut. La marchandisation réduit l’accès aux biens et aux services essentiels ; et, en cherchant toujours à rendre le travail moins coûteux, en particulier dans la périphérie, la consommation des travailleurs et des travailleuses se trouve amoindrie.
Il y a plus de 130 ans, Pierre Kropotkine avait déjà souligné ce processus. Dans La Conquête du pain, il remarquait qu’en dépit des hauts niveaux de production en Europe au XIXe siècle, la majeure partie de la population vivait dans la misère. Pourquoi ? Parce que dans un régime capitaliste, la production est mobilisée pour ce « ce qui promet les plus grands bénéfices à l’accapareur »1. « Une minorité », écrivait-il, s’arroge le droit de « gouverner la vie économique de la nation. » Pendant ce temps, les masses qu’on empêche de subvenir à leurs propres besoins par leur propre travail n’ont « point devant elles de quoi vivre un mois ou même huit jours. »
Considérez, insistait Kropotkine, tout ce « travail en pure perte : ici pour maintenir l’écurie, le chenil et la valetaille du riche, là pour répondre aux caprices des mondaines et au luxe dépravé de la haute pègre ; ailleurs pour forcer le consommateur à acheter ce dont il n’a pas besoin, ou lui imposer par la réclame un article de mauvaise qualité ; ailleurs encore, pour produire des denrées absolument nuisibles, mais profitables à l’entrepreneur. »
Mais toute cette activité productive pourrait être organisée vers d’autres fins. « Ce qui est gaspillé de cette façon », écrivait Kropotkine, « suffirait pour doubler la production utile, ou pour outiller des manufactures et des usines qui bientôt inonderaient les magasins de tous les approvisionnements dont manquent les deux tiers de la nation. » Si les travailleur·ses et les paysans avait le contrôle sur les moyens de production, ils et elles pourraient facilement se rendre capable de garantir ce que le penseur anarchiste nommait « le bien-être pour tous ». Il serait alors possible de mettre fin à la pauvreté de masse, le dépouillement et les pénuries organisées qui sont la marque du capitalisme.
L’argument de Korpotkine est toujours valide aujourd’hui. Une petite partie de la capacité de production mondiale suffirait à garantir une vie décente à tou·tes les habitant·es de la planète. Mais la crise écologique nous impose un autre défi que Kropotkine ne pouvait pas, à son époque, anticiper à sa juste mesure. En effet, il nous faut atteindre le bien-être pour toutes et tous et en même temps réduire l’utilisation d’énergie et de matière (en particulier au centre de l’économie-monde) de telle sorte à décarboner rapidement nos modes de vie et à ramener l’économie mondiale dans les limites planétaires. L’innovation technologie et les gains d’efficacité sont centraux pour atteindre cet objectif, mais les pays à haut niveau de revenu doivent également diminuer les productions les moins essentielles afin de réduire directement l’utilisation excessive d’énergie et de matière.
Si le capitalisme n’a jamais été capable d’accomplir le premier objectif (le bien-être commun), il est certain qu’il ne peut accomplir le second. C’est structurellement impossible dans la mesure où il va à l’encontre de la logique fondamentale de l’économie capitaliste, qui consiste à faire croître indéfiniment la production globale afin de maintenir les conditions de l’accumulation perpétuelle.
Ce que nous devons faire coule de source : nous devons mettre en place un contrôle démocratique sur la finance et la production, comme Kropotkine le disait, et nous devons désormais l’organiser à partir d’un double objectif associant bien-être et écologie. Pour cela nous avons besoin de distinguer, comme il le faisait, la production socialement nécessaire devant clairement augmenter pour le progrès social, d’avec les formes de production destructrices et moins essentielles, qui, elles, doivent urgemment diminuer. Tel est l’épreuve révolutionnaire, d’ampleur mondiale et historique, à laquelle notre génération fait face.
Pour assurer la cohésion sociale, nous devons tout d’abord étendre et dé-marchandiser les services publics universels. Par ces derniers je veux dire la santé et l’éducation, oui, mais aussi le logement, le transport public, l’énergie, l’eau, Internet, la puériculture, les infrastructures récréatives et l’alimentation saine pour toutes et tous. Mobilisons nos forces productives afin de garantir à chacun et chacune un accès aux biens et aux services nécessaires au bien-être.
Deuxièmement, nous devons mettre en place des programmes de travaux publics ambitieux, afin de construire un réservoir d’énergies renouvelables, d’isoler les logements, de produire et d’installer des appareils sobres, de restaurer les écosystèmes et d’innover en matière de technologies socialement nécessaires et écologiquement efficaces. Ce sont des politiques d’intervention essentielles qui doivent être réalisées le plus rapidement possible ; nous ne pouvons pas attendre poliment que les capitaux décident qu’elles valent la peine d’être réalisées.
Troisièmement, nous devons introduire une garantie à l’emploi public qui soit en mesure de rendre les gens capables de participer à ces projets collectifs vitaux, en réalisant un travail à la fois sensé et socialement nécessaire, associé avec des conditions d’exercice sur lesquelles ont un pouvoir collectif, ainsi que des salaires décents. Cette garantie à l’emploi doit être financée par le créateur de monnaie, mais elle devrait être contrôlée démocratiquement à l’échelle locale appropriée.
Considérez la puissance de cette approche. Elle nous permet d’atteindre des objectifs écologiquement nécessaires. Mais elle abolit aussi le chômage. Elle abolit la précarité économique. Elle garantit de bonnes conditions de vie pour toutes et pour tous indépendamment des fluctuations de la production globale, rompant ainsi le lien entre bien-être et croissance. En ce qui concerne le reste de l’économie, les grandes entreprises devraient être démocratisées et soumise à un contrôle des travailleur·ses, et des communautés le cas échant, et la production devrait être réorganisée autour des objectifs de bien-être et d’écologie.
Ensuite, pendant que nous consolidons et que nous améliorons les secteurs d’activités nécessaires sur les plans écologique et social, nous devons faire en sorte de diminuer les formes de production les moins socialement nécessaires. Les énergies fossiles constituent en cela un cas évident : nous devons fixer des objectifs contraignants afin de faire disparaître cette industrie progressivement, d’une manière équitable et juste. Cependant, comme le montre les études sur la décroissance, nous avons également besoin de réduire la production globale dans d’autres secteurs industriels destructeurs (voiture, aviation, logements de luxe, viande industrielle, fast fashion, publicités, armes de guerre, etc.), tout en augmentant la durée de vie des objets et en abolissant l’obsolescence programmée. Ce processus doit être défini de manière démocratique, mais aussi fondé sur la réalité matérielle et écologique et sur les impératifs de la justice décoloniale.
Lire sur Terrestres, Timothée Parrique, Giorgos Kallis, « La décroissance : le socialisme sans la croissance », février 2021.
Enfin, il est on ne peut plus urgent de réduire le pouvoir d’achat des riches par le biais d’impôts sur la fortune et de plafonds sur les revenus élevés. En ce moment même, les millionnaires à eux-seuls sont sur le point de brûler 72% du budget carbone restant pour ne pas dépasser 1,5°C de réchauffement global. Ce seul fait constitue une injure criante à l’encontre de l’humanité et du vivant, et personne ne devrait l’accepter. Il est irrationnel et injuste de continuer à détourner notre énergie et nos ressources pour soutenir une élite ultra-consommatrice en pleine catastrophe écologique.
Si, après avoir mis en place ces mesures, nous nous rendons compte qu’il nous faut moins de travail pour produire ce dont nous avons besoin, nous pourrons alors raccourcir sa durée hebdomadaire, offrir aux gens davantage de temps libre et partager le restant indispensable encore plus équitablement de manière à se prémunir durablement du chômage.
La dimension internationaliste de cette transition doit figurer au premier plan. L’utilisation excessive d’énergie et de matière doit diminuer aux centres de l’économie-monde pour atteindre les objectifs écologiques, tandis que les périphéries doivent restaurer et réorganiser leurs capacités productives. Et, dans bien des cas, ces dernières doivent même être augmentées pour répondre aux besoins humains et se développer, afin que les flux de production convergent au niveau global à des niveaux qui soient à la fois suffisants pour le bien-être de tous et toutes et compatibles avec la stabilité écologique.
Pour le Sud Gobal, cela nécessite de mettre un terme aux programmes d’ajustement structurels, d’annuler les dettes externes, de garantir la disponibilité universelles des technologies essentielles et de permettre aux gouvernements de mettre en place des politiques industrielles et fiscales progressives dans le but de renforcer la souveraineté économique. En l’absence d’une action réellement multilatérale, les gouvernements du Sud peuvent et devraient, de manière unilatérale ou collective, prendre des mesures pour mettre en œuvre un développement souverain et devraient être soutenus pour cela.
Tous ces éléments devraient maintenant clarifier ce point : on comprendra mieux l’idée de décroissance, à savoir le cadre théorique qui a ouvert l’imagination des scientifiques et des activistes depuis une décennie, si on l’inscrit plus largement dans la lutte pour l’éco-socialisme et l’anti-impérialisme.
Le programme que je viens de décrire est-il économiquement abordable ? Oui. Par définition, oui. Comme l’a même reconnu John Maynard Keynes, cet influent économiste capitaliste, et comme l’ont toujours compris les économistes socialistes, tout ce que nous pouvons réaliser, en termes de capacité de production, nous pouvons le payer. Et en matière de capacité de production, nous en avons bien plus qu’il n’en faut. En établissant un contrôle démocratique sur les finances et la production, nous pouvons simplement réorienter l’utilisation de cette capacité du gaspillage et de l’accumulation élitiste vers des objectifs sociaux et écologiques.
Certain·es diront que tout cela est utopiste. Mais il se trouve que ces politiques sont extrêmement populaires. Des services publics universels, une garantie publique à l’emploi, plus d’égalité, une économie centrée sur le bien-être et l’écologie plutôt que la croissance : les sondages et les enquêtes montrent qu’il y a un soutient majoritaire pour ces idées et les assemblées officielles de citoyens de plusieurs pays sont appelé précisément à ce genre de transition. Nous avons là quelque chose qui a le potentiel de devenir un agenda politique populaire et réalisable.
Mais rien de tout cela n’arrivera tout seul. Cela nécessitera une lutte politique d’envergure contre celles et ceux qui tirent outrageusement bénéfice du statut quo. Le temps n’est plus au réformisme mou, aux retouches sur les bords d’un système défaillant. Le temps est au changement radical. Mais il est clair, cependant, le mouvement écologiste récent ne peut en constituer le seul moteur. Même s’il est vrai qu’il a réussi à mettre au premier plan les problèmes écologiques dans l’espace public, il ne dispose pas des capacités d’analyse structurelle et l’influence politique pour réaliser la transition dont nous avons besoin. Les partis verts bourgeois sont en cela particulièrement révélateurs, avec leur inquiétante ignorance des modes de vie des classes ouvrières, des politiques sociales et des dynamiques impérialistes. Pour surmonter ces limites, il est urgent que les écologistes établissent des alliances avec les syndicats, les mouvements ouvriers et d’autres formations politiques de la classe ouvrière qui disposent d’un levier politique beaucoup plus important, y compris le pouvoir de la grève.
Pour ce faire, les écologistes doivent mettre en avant les politiques sociales que j’ai énumérées plus haut, et qui promeuvent l’abolition de l’insécurité économique qui conduit les communautés de la classe ouvrière et de nombreux syndicats à craindre les conséquences négatives qu’une action écologique radicale pourrait avoir sur leurs moyens de subsistance. Mais les syndicats doivent aussi bouger. Cette critique ne vient pas de l’extérieur, mais de quelqu’un qui a toujours été syndiqué. Comment avons-nous pu laisser les horizons politiques du mouvement syndical se réduire à des batailles sectorielles sur les salaires et les conditions de travail, tout en laissant intacte la structure générale de l’économie capitaliste ? Nous devons renouer avec nos ambitions initiales et nous unir entre secteurs – ainsi qu’avec les chômeurs et les chômeuses – pour garantir les fondements sociaux pour tous et parvenir à la démocratie économique.
Enfin, les mouvements progressistes du centre de l’économie-monde doivent soutenir, défendre et s’unir avec les mouvements sociaux radicaux et anticoloniaux du Sud. Les travailleur·ses et les paysan·nes de la périphérie fournissent 90 % du travail qui alimente l’économie capitaliste mondiale. Les pays Sud détient la majorité des terres arables et des ressources essentielles de la planète, ce qui leur confère un pouvoir considérable. Toute philosophie politique qui ne met pas en avant les travailleur·ses et les mouvements politiques du Sud en tant qu’agents principaux du changement révolutionnaire passe tout simplement à côté de l’essentiel.
Cela nécessite un âpre travail d’organisation, de création de solidarités et d’union autour de revendications politiques communes. Il faut de la stratégie et du courage. Y a-t-il de l’espoir ? Oui. Nous savons qu’il est empiriquement possible de parvenir à une économie mondiale juste et durable. Mais notre espoir ne pourra jamais être plus fort que notre lutte. Si nous voulons de l’espoir – si nous voulons obtenir un tel monde – nous devons construire la lutte.
Lire sur Terrestres, Dominique Bourg, Philippe Desbrosses, Gauthier Chapelle, Johann Chapoutot, Xavier Ricard Lanata, Pablo Servigne, « Propositions pour un retour sur Terre », avril 2020.
Pour compter jusqu'à 100 000, il faut un peu plus de 12 heures...
Pour compter jusqu'à 1 million, il faut 11 jours...
Pour compter jusqu'à 1 milliard, il faut 31 ans.
La seconde édition du Rapport sur les riches en France dresse un portrait social des privilégiés, à travers les données les plus récentes sur les revenus et sur le patrimoine. Elle présente aussi deux éclairages inédits sur le rôle de l’héritage d’une part, et sur les conditions de vie des riches d’autre part.
Source : https://reporterre.net/La-vie-sur-Terre-est-en-etat-de-siege-alertent-les-scientifiques
« La vie sur la planète Terre est en état de siège », écrivent des scientifiques, qui préviennent que « nous entrons dorénavant dans une zone inexplorée ». Dans un article publié le 24 octobre dans la revue BioScience, une équipe internationale de chercheurs lance un nouveau cri d’alarme sur l’état écologique général de la planète et sa viabilité pour le vivant.
Ils ont identifié pas moins de 35 « signaux vitaux planétaires », parmi lesquels 20 atteignent aujourd’hui des niveaux records.
Ils notent par exemple que la température moyenne atteinte en juillet pourrait être la plus chaude connue par la Terre depuis 100 000 ans, que les feux de forêt au Canada ont envoyé plus d’un milliard de tonnes de carbone dans l’atmosphère, que 735 millions de personnes souffraient de la faim de manière chronique en 2022, soit 122 millions de plus qu’en 2019, et que dans le même temps, les subventions accordées aux énergies fossiles continuaient d’exploser.
Lire aussi : « Le véritable assistanat, ce sont les subventions accordées aux entreprises fossiles »
Cet appel est une mise à jour de « L’avertissement des scientifiques du monde entier adressé à l’humanité », publié dans la même revue en 2017 et cosigné par plus de 15 000 chercheurs. En 2019 encore, l’appel était réitéré et signé par 11 000 scientifiques qui estimaient que, sans changement majeur dans nos modes de vie, nous allions être confrontés à une dégradation climatique « menaçant le destin de l’humanité ».
William Ripple, professeur distingué de l’université de l’Oregon (États-Unis), déjà premier auteur des deux appels précédent, est à nouveau celui de cette nouvelle étude. Il estime, avec ses collègues, que la moitié de l’humanité pourrait se retrouver « confinée au-delà des régions habitables » de la planète si nous n’agissons pas très rapidement.
Pour limiter les désastres engendrés par notre surconsommation de ressources, ils enjoignent les décideurs politiques à prendre une série de mesures d’urgence. Ils préconisent notamment d’opérer une vaste transition économique pour prioriser la satisfaction des besoins essentiels de l’humanité plutôt que la surconsommation par les plus riches ; d’agir contre les inégalités de genre en soutenant l’éducation des femmes ; de ne plus subventionner les énergies fossiles, ou encore de diminuer drastiquement la consommation de viande.
Source : https://reporterre.net/A-la-campagne-les-classes-populaires-sont-ecolos-sans-le-revendiquer
Il existe déjà des modes de vie très sobres. C’est ce que montrent les travaux de Fanny Hugues, doctorante au Centre d’étude des mouvements sociaux. Elle finalise une thèse provisoirement intitulée « Vivre de peu en zone rurale : récupérer, réparer, autoproduire »,
fondée sur l’observation de la vie quotidienne d’une quarantaine
d’habitants des zones rurales. Des personnes qui ne se retrouvent pas
dans le discours écologique alors que leurs pratiques le sont
profondément, explique la sociologue à Reporterre.
Reporterre — Vous étudiez ce que vous appelez la « débrouille » de certains habitants de zones rurales. Que recouvre-t-elle ?
Fanny Hugues — J’ai choisi le terme de « débrouille » pour qualifier ces modes de vie car c’est celui que les gens utilisaient et qui résume l’idée que l’on « fait avec ce que l’on a ». Une partie des gens que j’ai suivis trouvent qu’ils ont assez d’argent pour bien vivre. Chez eux, le travail rémunéré est organisé autour du travail de subsistance et non l’inverse. Ils travaillent pour gagner juste ce dont ils ont besoin comme argent. La plupart ont aussi un capital immobilier. Et surtout, ils ont plein d’autres ressources non monétaires qui invalident le fait qu’ils vivent « de peu » : un accès à la nature, des échanges entre voisins, des amis, de la famille, des savoir-faire, de la récupération à foison, etc.
Il existe plusieurs manières de se débrouiller en milieu rural. Elles combinent plusieurs pratiques comme la mise en place d’un potager voire d’une basse-cour, la production de son propre bois de chauffe, la réparation, l’autoconstruction ou l’autorénovation de sa maison — le tout avec l’aide des compétences de ses proches. Le recours aux « bonnes affaires » (promos, occasion, discount) en fait aussi partie.
Comment les personnes que vous avez rencontrées s’organisent-elles pour se déplacer ? Adopter un mode de transport écologique en milieu rural est compliqué.
Elles ont des voitures qui ont en moyenne quinze ans, achetées d’occasion, ou qu’on leur a donné. Elles les réparent avec les moyens du bord, ou vont chez des mécanos qu’elles connaissent bien. Mais en fait ces gens roulent peu, parce que ça coûte cher de rouler. Ils groupent les déplacements, les organisent, ils ne vont jamais exprès à un endroit en voiture, ne se déplacent pas juste pour acheter une baguette de pain.
« Ces gens roulent peu, parce que ça coûte cher de rouler »
Ils prennent peu les transports en commun parce qu’il y en a très peu — seulement un bus le matin et un le soir. Certains font du vélo mais il faut être en bonne condition physique et savoir effectuer les réparations nécessaires. Donc ils utilisent surtout la voiture, tout en ayant des pratiques extrêmement sobres en termes de transport.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à cette population ?
Déjà, j’ai été socialisée à une partie de ces pratiques. Ensuite, j’avais déjà fait mon master sur une communauté Emmaüs, puis sur la vie quotidienne d’une cueilleuse de plantes médicinales. J’ai voulu mener ce travail à plus grande échelle. En 2018, les Gilets jaunes ont participé à rendre visibles des pratiques de récupération et d’échanges auparavant invisibles pour les institutions ou pour des gens qui ne s’intéressent pas à la vie des classes populaires rurales. J’ai donc décidé de m’intéresser, non pas aux Gilets jaunes – il y en a seulement quelques-uns dans mon échantillon —, mais à comment on peut vivre avec peu d’argent à la campagne, et considérer qu’on s’en sort plutôt bien.
Parmi les personnes sur lesquelles j’ai centré mon étude, il y a
plusieurs groupes – on appelle cela des fractions de classe en
sociologie. Je distingue les retraités agricoles et les femmes
précarisées, qui ne politisent pas leur mode de vie. Et dans les gens
qui le politisent, il y a des personnes qui appartiennent au pôle
culturel des classes populaires, et des petites classes moyennes.
En quoi le discours écologiste, porté par les politiques, les
médias ou les associations, peut-être perçu comme dominant par les
personnes que vous étudiez ?
Ce que j’appelle – comme d’autres sociologues — l’écologie dominante,
c’est principalement le discours qui incite à être écocitoyen et à
faire des écogestes, comme couper l’eau quand on se brosse les dents ou
éteindre la lumière derrière soi. Cela revient à ramener l’écologie à
l’espace domestique, à l’échelle individuelle et cela passe sous silence
la responsabilité des décideurs publics et des entités économiques. En
plus, les pratiques mises en avant sont surtout urbaines. Par exemple,
avoir des toilettes sèches ou récupérer l’eau de pluie ne font pas
partie de ces écogestes le plus souvent mis en avant. Les personnes que
j’étudie dans le cadre de ma thèse sont, pour la plupart, imperméables à
ce discours, voire le mettent explicitement à distance.
Quel est leur rapport à l’écologie ?
Aucune des personnes que j’ai suivies n’a revendiqué le fait d’être écolo. Parce que leurs pratiques sont héritées de l’enfance, intériorisées. Elles me disaient « bah non, je ne suis pas écolo », « c’est du bon sens », « c’est logique », « c’est naturel », etc. La plupart de ces personnes ont grandi dans des milieux populaires où on faisait attention à récupérer, faire durer les choses. Puis ces pratiques ont perduré parce que ces gens ont toujours des conditions matérielles d’existence assez restreintes. Donc pour eux, ça va de soi.
Il y a un autre mot qui est beaucoup revenu dans leurs discours, c’est le « respect ». Si on veut que la nature nous donne, il faut la respecter, ne pas la polluer. Par exemple, pour les retraités agricoles, ne pas mettre de produits chimiques dans leur potager en fait partie. Il y a un sens pratique et un sens moral qui incite à faire durer et à prendre soin de la nature.
« Les écogestes mis en avant sont surtout urbains. Par exemple, récupérer l’eau de pluie n’est pas souvent mis en avant. » © Mathieu Génon / Reporterre
Pour eux, les décideurs politiques — perçus comme des gens qui vivent en ville et font partie des classes supérieures — « ne comprennent pas ce qu’on fait ». Les personnes politisées que j’ai suivies parlent d’une écologie « hors sol », présente uniquement dans les discours, alors qu’eux font de l’écologie pratique.
Pourquoi ces personnes au mode de vie sobre et proche de la nature ne se disent pas écolos ?
Pour le groupe de personnes qui ont un discours politisé, le niveau d’exigence pratique n’est pas atteint. Ils vont rappeler qu’ils ont une voiture, diesel ou essence, qu’ils vont encore au supermarché, etc. Pour eux, pour être écolo, il faut vraiment être un décroissant extrême.
Et puis le discours qui consiste à dire « il faut mettre des panneaux photovoltaïques, acheter tel équipement performant » ne peut pas s’adresser à des gens qui n’ont pas les moyens, et qui en plus ont un sens pratique, moral, qui les incite à faire durer les objets et à récupérer.
Ils ont aussi conscience que les classes supérieures se distinguent avec leurs pratiques écologiques. Ils disent : « Ils vont acheter bio ou un pull en mérinos, mais moi je vais chez Emmaüs et ça va très bien ! » Pour eux, l’étiquette écologique ne correspond pas à une véritable écologie pratique. Donc quand d’autres personnes se définissent comme écolos, ils n’y voient qu’un engagement de façade.
« Pour les retraités agricoles, l’écologie est devenue une “mode” »
Enfin, pour les retraités agricoles, l’écologie est devenue une « mode » alors qu’ils estiment que leurs pratiques économes sont héritées de plusieurs générations. Ils considèrent avoir « inventé le bio avant le bio » ou encore « la permaculture avant la permaculture »,
avant qu’un label et des stages viennent institutionnaliser certaines
de leurs pratiques. Alors pourquoi apposer une nouvelle étiquette sur
des pratiques que l’on faisait déjà avant ?
Ceux qui portent le discours écologique perçoivent-ils cette sobriété déjà à l’œuvre ?
Le discours écologique dominant laisse souvent penser que les classes populaires, qu’elles soient rurales ou urbaines, se désintéresseraient de l’écologie parce qu’elles ne s’en revendiquent pas de manière explicite. En fait, ce que je montre, c’est qu’il n’y a absolument aucune indifférence vis-à-vis des questions environnementales. Il y a juste une reformulation. En d’autres termes et en d’autres pratiques.
Il y a quelque chose qui me gêne beaucoup chez ceux qui portent le
discours écologiste : ils donnent l’impression que les modes de vie
sobres que l’on veut faire advenir n’existent pas encore, qu’on va les
inventer. Mais en fait ils existent déjà et depuis très longtemps ! Mon travail consiste à les visibiliser.
Le mode de vie des personnes que vous avez étudiées est-il majoritaire dans les territoires ruraux où elles vivent ? Ou sont-elles marginales ?
Cela dépend des territoires et des personnes dont il est question. Ce qui est certain, c’est qu’aucune de ces personnes n’est dominante au niveau social, politique ou économique sur son territoire. Ce sont des personnes qui vivent de manière très discrète, et qui s’entraident avec des personnes qui sont socialement proches. Elles ne se sentent pas marginalisées car leurs sociabilités sont tournées vers des personnes qui adoptent des modes de vie similaires.
Néanmoins, certaines craignent que leurs modes de vie soient fragilisées par l’exode urbain, ou par l’arrivée dans leur voisinage de classes moyennes-supérieures urbaines au mode de vie consumériste. Celles-ci ne viennent pas se présenter à elles et elles ne peuvent donc pas développer ensemble des pratiques d’entraide.
Puisque le discours des dirigeants ne leur parlent pas, pour qui votent ces personnes ?
Pour ceux qui sont politisés et ont plus de capital culturel, s’il fallait les affilier à un bord politique, ce serait La France insoumise. Elle est vue comme plus sociale et populaire que les Verts, qui eux, sont vus comme moins radicaux, sans dimension sociale, et plus proches des élites. Ainsi, j’ai des enquêtés qui ont participé à la zad de Sivens [en lutte contre un énorme dans le Tarn] et avaient dans l’idée que les Verts étaient du côté des décideurs, et de la destruction.
Du côté des femmes précarisées ou des retraités agricoles, certains votent Rassemblement national. Il n’y a pas de discours raciste, mais plus l’idée qu’il faut préserver ses acquis, et que le RN est le parti qui va les y aider. Après, il y a aussi des girouettes, comme une femme qui a voté Mélenchon au premier tour, puis Le Pen au deuxième face à Macron.
Source : https://www.youtube.com/watch?v=GUDXtV-ND8o
Etes-vous
prêts pour la prochaine catastrophe majeure ? Et si la gestion
collective, Etatique et Citoyenne, de notre sécurité civile était la
meilleure façon de faire société ensemble ?
Tout commence par une question : lorsque surviendra la prochaine catastrophe majeure sur notre territoire, sur qui compterez-vous pour la gérer, pour assurer votre survie, répondre à vos besoins essentiels ? Le citoyen est théoriquement sensé être le premier acteur de sa sécurité civile, pour autant, cette question est un point aveugle de notre époque et du débat public. Dès lors qu’on pose le problème comme cela, deux angles d’attaque émergent : notre Etat est-il à la hauteur dans la gestion des catastrophes majeures d’une part, et le citoyen est-il conscient de son rôle dans la sécurité civile de son Etat ?
Source : https://vert.eco/articles/le-record-de-temperature-moyenne-mondiale-battu-lundi-et-mardi
Mardi 4 juillet, la température planétaire a atteint 17,18°C, dépassant aisément le précédent record de 17,01°C qui datait de… la veille.
Source : https://monthlyreview.org/2022/04/01/for-an-ecosocialist-degrowth/
de Michael Löwy , Bengi Akbulut , Sabrina Fernandes et Giorgos Kallis
La décroissance et l'écosocialisme sont deux des mouvements et des propositions les plus importants du côté radical du spectre écologique. Bien sûr, tout le monde dans la communauté de la décroissance ne s'identifie pas comme socialiste, et tous ceux qui sont écosocialistes ne sont pas convaincus par l'opportunité de la décroissance. Mais on peut voir une tendance croissante au respect mutuel et à la convergence. Essayons de cartographier les grands terrains d'entente entre nous, et listons quelques-uns des principaux arguments en faveur d'une décroissance écosocialiste :
Source : https://www.terrestres.org/2023/03/17/marx-au-soleil-levant-le-succes-dun-communisme-decroissant/
Temps de lecture : 23 minutes
Entretien avec Kōhei Saitō réalisé le 12 janvier 2023 par Emilie Letouzey et Jean-Michel Hupé de l’Atelier d’Écologie Politique pour Terrestres (introduction et notes comprises).
En 2020, l’universitaire Japonais Kōhei Saitō, spécialiste de Karl Marx, publie Le Capital dans l’anthropocène (Hitoshinsei no ‘Shihonron’), un essai dense et radical sur la catastrophe en cours et à venir, véritable manuel d’écologie politique. Succès inattendu, le livre se vend à un demi-million d’exemplaires. Saitō est invité partout et débat volontiers dans les journaux, à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Dans un langage clair et concis, il expose sa position anticapitaliste et assume un engagement citoyen peu commun pour un chercheur au Japon.
Au centre de son analyse : Marx, dont Saitō a décortiqué les carnets tardifs, dans lesquels il voit une inflexion majeure de la pensée de l’auteur du Capital par rapport à l’environnement. Un Marx écologiste avant l’heure, tel que dépeint par les écosocialistes ? Oui, mais l’analyse de Saitō va plus loin puisqu’il place la décroissance au centre de son propos. Car en plus d’avoir fait ses classes parmi les écosocialistes, Saitō s’inscrit dans le renouveau de la pensée décroissante, parfois appelé « la voie catalane1 ». Au Japon, qui vit dans la nostalgie de la Haute croissance (1955-1973) et a pour programme gouvernemental le « Nouveau capitalisme » (Atarashii shihonshugi), il est peu dire que cela ne va pas de soi.
Que contient donc ce livre à succès, dont une version anglaise remaniée, plus académique, est parue en février 20232 ? Saitō y dresse le constat du désastre social et écologique du capitalisme, expliquant les mécanismes d’externalisation d’une charge devenue monumentale sur les humains et la nature. Démontant le solutionnisme technologique et réfutant le Green New Deal, il esquisse quatre scénarios possibles pour le futur : fascisme climatique, maoïsme climatique, barbarie, et un quatrième scénario d’abord nommé « X » et dévoilé plus avant, au terme d’une partie centrale sur la question des communs. Ce scénario, qui constitue la proposition centrale de l’ouvrage, c’est le communisme décroissant – seul à même, selon Saitō, de parer au pire et d’assurer équité, justice et abondance. « Pour ne pas terminer l’Histoire », il appelle enfin à la mobilisation, même minoritaire.
Le Capital dans l’anthropocène recourt donc à Marx pour lutter contre la catastrophe socio-climatique en cours ; de la même manière, Le Capital depuis zéro, dernier ouvrage de Saitō sorti au Japon en janvier 20233, utilise Le Capital pour parler aux gens de leurs problèmes au travail, de la précarité au Japon ou des raisons qui nous poussent à consommer sans relâche. Une posture qui peut sembler paradoxale puisque la spécificité de Saitō est de s’appuyer sur ce qui n’est justement pas dans Le Capital4, et qui lui vaut d’être en désaccord avec de nombreux marxistes.
Dans son bureau de l’université de Tōkyō avec vue sur le mont Fuji, Kōhei Saitō revient sur le succès du Capital dans l’anthropocène et nous explique comment il dépasse l’apparente contradiction entre décroissance et communisme : en partant des communs, tout simplement.
Terrestres : Dans votre livre Le Capital dans l’Anthropocène vous défendez le communisme décroissant comme solution politique (voire civilisationnelle) à l’effondrement prochain des sociétés et de la vie dans l’Anthropocène. Votre proposition converge avec les tendances récentes du mouvement de la décroissance, mais elle est originale pour au moins trois raisons. La première est que vous êtes un spécialiste de Marx ; la deuxième est que vous poussez clairement la décroissance vers la gauche en remettant la notion de communisme au goût du jour ; la troisième est que vous écrivez depuis le Japon, où vous rencontrez un succès important. Le terme « décroissance » est déjà considéré comme une provocation volontaire, celui de « communisme » ressemble à une provocation supplémentaire. Comment les définissez-vous ?
Kōhei Saitō : En effet, la décroissance et le communisme ont tous deux une très mauvaise image, et ces termes peuvent être compris de différentes façons. Je les combine intentionnellement car j’espère que le négatif multiplié par le négatif sera quelque chose de positif qui ouvrira une nouvelle façon de penser. Mais mon point de départ était relativement simple. La décroissance est incompatible avec le capitalisme car, par définition, le capitalisme est un système de valorisation constante du capital : le capital s’accroît lui-même à l’infini. Dans le monde d’aujourd’hui, cela est représenté par l’augmentation du PIB et la croissance économique comme impératif principal de notre société. Donc si nous prônons la décroissance, nous devons être anticapitalistes : la décroissance sous le capitalisme est impossible, ce sont deux choses qui sont tout simplement incompatibles.
La décroissance est incompatible avec le capitalisme car, par définition, le capitalisme est un système de valorisation constante du capital.
Saitō Kōhei
C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai pensé que mon parcours de spécialiste du marxisme serait en quelque sorte utile. D’une part parce que je pense que le marxisme, ou Marx en tant que philosophe, est l’un des rares penseurs qui analyse de manière très critique et systématique le mode de production capitaliste. D’autre part parce que des gens qui appellent à la décroissance, comme Serge Latouche – qui est célèbre même au Japon, puisque trois ou quatre de ses livres sont traduits en japonais – plaident pour une troisième voie par rapport au capitalisme et au socialisme. Latouche n’a jamais dit clairement que, pour sa proposition de décroissance, il serait nécessaire que le socialisme surmonte le capitalisme. C’est pourquoi j’étais un peu méfiant à propos de la décroissance alors que je connaissais le concept depuis longtemps. De même au Japon, Yoshinori Hiroi 広井良典 ou Keishi Saeki 佐伯啓思 sont connus pour avoir utilisé le concept de décroissance, mais ils n’ont jamais dit que l’alternative serait le socialisme ou le communisme. En raison de l’expérience du passé, ils hésitent à utiliser ces termes ou même à revenir à Marx.
Mon approche est différente. Ma génération aussi est différente. Je suis né en 1987 : quand j’ai grandi, l’Union Soviétique avait déjà disparu et je n’ai pas eu ces mauvaises expériences avec le parti communiste. Mais cela ne veut pas dire que je veux revenir au communisme soviétique ou au socialisme à la chinoise. Quand j’utilise Marx, je travaille à partir de divers carnets non publiés dans le cadre du « projet MEGA5 », où nous découvrons beaucoup de nouvelles idées. L’une de ces idées est que Marx était un penseur très écologique, et j’ai découvert que sa critique écologique du capitalisme pouvait être très utile.
Dans le sillage de Marx, je redéfinis le communisme comme une forme d’association et non un capitalisme d’État bureaucratique.
Saitō Kōhei
Par exemple, Marx n’a pas plaidé pour une planification hiérarchique de la société à la soviétique : il met en avant le concept d’association, qui est beaucoup plus du genre bottom-up. Je me suis basé sur ce type de compréhension très largement partagée parmi les marxistes japonais, qui ont montré que la vision du socialisme de Marx est très différente de celle de l’Union Soviétique6. L’Union Soviétique est souvent caractérisée comme un capitalisme d’État – et je suis d’accord avec cela. Ce que j’essaie donc de faire, c’est de redéfinir le communisme comme une forme d’association et non un capitalisme d’État bureaucratique. Il s’agit plutôt de la façon dont diverses formes d’associations gèrent les communs de manière démocratique.
Ma définition du communisme est donc très simple : le communisme est une société basée sur les communs. Le capitalisme a détruit les communs avec l’accumulation primitive, la marchandisation7 des terres, de l’eau et de tout le reste. C’est un système dominé par la logique de la marchandisation. Ma vision du communisme est la négation de la négation des communs : nous pouvons dé-marchandiser les services de transport public, le logement public, tout ce que vous voulez, mais nous pouvons aussi les gérer d’une manière plus démocratique – pas à la façon de quelques bureaucrates qui régulent et contrôlent tout. Nous pouvons avoir un système de gestion plus bottom-up.
J’accepte généralement ce que les adeptes de la décroissance disent, mais j’essaie de combiner deux courants dans le « communisme décroissant ». Je pense même que, à la fin de sa vie dans les années 1880, Marx avait de la sympathie pour ce genre d’idée que j’appelle communisme décroissant.
Il y a quelque chose qui n’apparaît pas dans les traductions, c’est qu’en japonais vous écrivez komyunizumu (コミュニズム) et non kyōsanshugi (共産主義, qui signifie « communisme »). Vous avez aussi mentionné le terme komonizumu (コモニズム, « commonisme ») : est-ce un terme que vous utilisez également ?
Au Japon en effet, « communisme » écrit avec les
caractères chinois 共産主義 est généralement associé à l’Union Soviétique, à
la Chine, ou au parti communiste japonais. C’est donc
intentionnellement que j’utilise le terme komyunizumu コミュニズム
pour différencier ma compréhension du terme conventionnel. Mais comme il
y a des gens qui ne saisissent pas la nuance, j’ai dit dans une
interview que « la société basée sur les communs est le communisme, donc
on pourrait même dire commonisme ». Ce terme est en fait proche de ce que je veux exprimer.
Le communisme est généralement associé à la notion de
révolution, qui n’est pas mentionnée dans votre livre. Dès lors, quel
est le processus pour aller vers ce communisme décroissant si ce n’est
pas la révolution ? Comment voyez-vous cette transition ?
C’est une question très importante. Ma vision du
communisme est très différente de la révolution prolétarienne, de la
dictature du prolétariat et de ce genre de choses. Ce que j’essaie de
défendre, c’est l’expansion graduelle des communs.
Le capitalisme est le processus d’expansion constante de la marchandisation de tout. Le processus à suivre devrait donc être la démarchandisation progressive de ce qui a été marchandisé. Cela me semble plus réaliste et plus proche de ce à quoi Marx pensait, surtout dans ses dernières années. Par exemple, si vous lisez le volume 1 du Capital, il explique pourquoi la réduction de la journée de travail est une stratégie très importante pour le mouvement ouvrier. Ce n’est pas révolutionnaire, d’accord, car ce n’est pas en raccourcissant la journée de travail que nous détruirons le capitalisme. Mais Marx pense que c’est une condition préalable. Parce que lorsque les travailleurs et travailleuses travaillent douze heures par jour, ils et elles n’ont pas de temps pour les mouvements sociaux ou pour étudier. Regardez les travailleurs et travailleuses japonaises, qui travaillent tellement qu’ils et elles sont épuisé·es et ne font rien d’autre que regarder Youtube. Je pense donc qu’il est essentiel de raccourcir la journée de travail.
Contre l’expansion constante de la marchandisation, le processus vers le communisme devrait être la démarchandisation progressive de ce qui a été marchandisé.
Saitō Kōhei
De même, il est très important que les gens ne dépendent pas autant des échanges monétaires et marchands. L’État-providence en Europe occidentale me paraît donc plus proche de la vision du socialisme de Marx que l’Union Soviétique. Parce que l’Europe occidentale a démarchandisé l’éducation, une partie du secteur médical et des soins, et même du logement8. Parce que les gens peuvent vivre – ou du moins peuvent sentir qu’ils peuvent vivre – sans dépendre entièrement du travail salarié, ils ont plus de liberté pour s’engager dans d’autres activités non commerciales, non capitalistes. Il peut s’agir d’art, d’activités culturelles, de sport, d’activités politiques, de n’importe quoi. Au Japon, il n’y a pas beaucoup d’endroits où les gens peuvent se réunir sans payer, alors nous allons toujours à l’izakaya9 pour nous réunir – cela reste une activité très marchandisée, je trouve.
Plus nous arriverons à étendre les communs, plus nous aurons de liberté, plus nous aurons d’espaces pour des activités non-capitalistes ou même anticapitalistes. Et cela changera notre façon de penser et notre comportement, ce qui aidera à construire un mouvement social plus large et plus radical. Je pense que ce processus va s’étendre, s’étendre, s’étendre, et qu’il y aura un moment où la logique de cette valorisation constante du capital ne sera plus la force organisatrice centrale ou principale de la société.
Donc, ce n’est pas du communisme pur : ma définition est très différente dans le sens où j’admets que les échanges monétaires et marchands peuvent encore exister dans une société future, mais de façon limitée. Il s’agit d’un autre type de société.
Votre proposition pour étendre les communs semble très proche de ce que la communauté de la décroissance10
appelle des « réformes non réformistes ». En ce sens, « commonisme »
serait moins ambigu en Europe que « communisme ». Mais, d’un autre côté,
vous appelez de vos vœux une alliance rouge-verte, et parler de
« communisme » est clairement un appel à la gauche. Avec les traductions
de vos livres, qu’attendez-vous de la gauche en Europe, où la gauche et
les syndicats sont encore très attachés à la croissance, au pacte
fordiste, etc. ? L’utilisation du terme communisme est-elle une
tentative pour construire une stratégie de contre-hégémonie à la
croissance en favorisant une alliance rouge-verte ?
Oui, le premier point est très important : j’ai été influencé par Joachim Hirsch, le marxiste allemand, qui prône quelque chose de similaire : le « réformisme radical ». C’est une réforme, mais c’est radical parce que nous voulons aller au-delà du capitalisme.
Le deuxième point concernant l’alliance rouge et verte est aussi très important. Ce que j’essaie de faire en mettant en avant ce concept de communisme, c’est de souligner que nous devons aspirer à un post-capitalisme. Les adeptes de la décroissance ont parfois été ambivalents sur ce point. Cela a changé récemment, avec par exemple Jason Hickel et d’autres, plus anticapitalistes, mais dans la génération de Serge Latouche et même André Gorz, les concepts de socialisme et de communisme n’étaient pas mis en avant.
Alors que j’adhérais partiellement au Green New Deal, j’ai changé d’avis il y a trois ans : la décroissance est la seule solution.
Saitō Kōhei
En même temps, je suis un universitaire marxiste et je veux donc aussi influencer mes amis écomarxistes comme John Bellamy Foster ou Paul Burkett. Michael Löwy, dont je suis proche, a souvent dit par le passé que la décroissance était une mauvaise stratégie politique – même Foster n’a jamais vraiment dit que nous avions besoin de la décroissance ou d’une économie stationnaire. Je voulais les faire changer d’avis. Je pense qu’ils sont toujours prisonniers d’une vieille façon de penser, sans doute parce que le marxisme est favorable aux technologies, et aussi parce qu’ils considèrent que l’idée de décroissance n’est pas une idée attractive pour la classe ouvrière et ne deviendra jamais une force politique de contre-hégémonie.
Mais la situation a changé, la crise climatique s’aggrave vraiment. J’ai d’ailleurs moi-même évolué – surtout après Greta Thumberg, que beaucoup de gens ont soutenu, notamment les jeunes. Alors que j’adhérais partiellement au Green New Deal, j’ai changé d’avis il y a trois ans : la décroissance est la seule solution.
Ainsi, dans mon premier livre11, j’ai essayé de surmonter le clivage entre verts et rouges. Dans mon deuxième livre12, j’essaie de surmonter l’antagonisme entre le marxisme et la décroissance.
Est-ce que ça marche ? Est-ce que les marxistes évoluent vers la décroissance ? Et qu’en est-il du parti communiste, qui est encore assez fort au Japon ?
Le parti communiste ignore mon travail. Tout en profitant du succès de mon livre puisque les gens parlent de Marx. Il prône la croissance et continue d’affirmer que la décroissance est irréaliste. Quant aux marxistes japonais, des hommes âgés pour la plupart, ils ne comprennent pas la gravité de la crise climatique, il est donc très difficile de dialoguer.
Mais si vous regardez en dehors du Japon, l’année dernière, Michael Löwy a écrit un article14 avec Giorgos Kallis dans la Monthly Review où il appelle explicitement à une décroissance écosocialiste13. C’est un très grand changement. Je lui ai demandé : « Vous avez changé de position ? », il a répondu : « Oui ». Et le fait que la Monthly Review publie cet article signifie que Foster14 change aussi de position. Il a lu mes interviews et il apprécie ma proposition de communisme décroissant. Foster prend donc aussi clairement position pour la décroissance.
La stratégie de la décroissance en Europe, telle que
développée notamment à Barcelone par Giorgos Kallis et d’autres, a
beaucoup plus appelé à des alliances avec l’écoféminisme qu’avec le
communisme. Nous n’avons pas vu beaucoup de références à l’écoféminisme
dans votre livre. Est-ce un choix conscient de votre part de ne pas le
faire ?
Je pense que c’est l’une des faiblesses centrales de ce livre (Le Capital dans l’anthropocène) parce que je me suis concentré sur ma nouvelle interprétation de Marx. Je suis également un universitaire homme et j’ai un peu hésité à mettre en avant l’écoféminisme comme pilier central de mon argumentation. Mais j’aurais quand même dû intégrer davantage ce type d’argument dans mon livre. Dans Marx in the Anthropocene : Towards the Idea of Degrowth Communism (2023), je fais intervenir des autrices comme Stefania Barca, Ariel Salleh, Sylvia Federici et d’autres15. Mais ce que je voulais établir, c’est une interprétation entièrement nouvelle du Marx tardif, qui est ma spécialité, et c’est ce que je peux apporter de plus à la division entre le marxisme et la décroissance.
Par opposition au socialisme d’État du XXe siècle, le communisme du XXIe siècle devrait être anarchiste, l’utopie que nous recherchons devrait être anarchiste.
Saitō Kōhei
Vous ne mentionnez également l’anarchisme qu’une seule fois, pour l’écarter, alors que vous parlez beaucoup des expériences actuelles à Barcelone. L’anarchisme espagnol qui a culminé à Barcelone dans les années 30 et toutes les initiatives d’organisation horizontale et d’autonomie qui en sont issues sont en fait très similaires à ce que vous décrivez à travers le communisme décroissant. Vous citez également David Graeber. L’anarchisme n’est-il donc pas pertinent pour vous, d’une manière ou d’une autre ?
En fait, je viens d’écrire un nouveau livre (en
japonais) dans lequel il y a un chapitre sur la Commune de Paris, et j’y
écris dans un sens clairement positif que la position du Marx tardif
est en fait un « communisme anarchiste » (anākisuto-komyunizumu).
Par opposition au communisme ou au socialisme du XXe siècle,
c’est-à-dire le socialisme d’État, je soutiens que le socialisme ou le
communisme du XXIe siècle devrait être anarchiste, que l’utopie que nous
recherchons devrait être anarchiste. Et c’est très proche de ce que
Marx préconisait pendant la guerre civile en France dans son analyse de
la Commune de Paris.
Et pas seulement de Marx, mais aussi de gens comme Peter Kropotkine, Élisée Reclus et William Morris. Ces auteurs sont également favorables à un post-capitalisme de type décroissance. Mais ils ont été marginalisés au XXe siècle et le récit du socialisme est devenu le marxisme-léninisme, centré sur l’État et sur le développement constant des technologies et de la bureaucratie. C’est totalement à l’opposé de ce qui était tout à fait central au XIXe siècle. Il y a donc eu une déformation du socialisme et du communisme à cause de l’Union Soviétique. Nous devons redécouvrir ce qui a été perdu, dont cette idée de communisme décroissant.
Vous avez eu beaucoup de succès au Japon avec des concepts a priori peu populaires. Comment expliquez-vous ce succès japonais ? Vous mentionnez souvent le jeune public comme une des clés de ce succès, mais avez-vous été lu également par des précaires ou par les milieux d’affaires ?
Oui, beaucoup par les milieux d’affaires ! La première phrase, qui dit que les Objectifs du Développement Durable (ODD) sont le nouvel opium du peuple, a été assez populaire parce qu’au Japon tout le monde parle des ODD : les gens portent des pins « ODD » sans savoir ce que cela signifie. Je pense que mon livre est devenu quelque chose que les milieux d’affaires doivent connaître, mais je ne suis pas sûr qu’ils comprennent vraiment ce que signifie le communisme décroissant, et je ne pense pas qu’ils soient d’accord.
Mon livre se compose de deux parties. La première partie est sur les limites du capitalisme, qui est incapable de résoudre la crise climatique. Je pense que les gens ont lu attentivement cette partie. Mais en ce qui concerne la deuxième partie, sur la solution, ils ne sont pas d’accord. Dans d’autres pays comme l’Amérique avec la génération Z, ou dans la mouvance de Greta Thunberg, la jeune génération a davantage de sympathie envers les idées socialistes. Des mouvements radicaux émergent. Je dis toujours aux hommes d’affaires16 : « Vous allez travailler avec ces jeunes générations pendant les dix ou vingt prochaines années, alors vous devriez savoir quelles sont les tendances générales dans les autres pays. » Alors ils s’intéressent à mes idées sur le socialisme et le communisme, ainsi qu’à la discussion générale sur la décroissance à l’ère de la crise climatique. J’ai l’impression que ça marche.
Et quelle est la réception par les travailleurs et travailleuses précaires ? Sachant qu’il y a eu une forte augmentation de la précarité et de la pauvreté au Japon au cours des trente dernières années ?
Il y a en effet une génération un peu plus âgée que moi qu’on appelle la « génération de l’âge de glace de l’emploi17 » qui était étudiante à l’université au début des années 1990 quand la bulle japonaise a éclaté et qui n’a pas pu trouver d’emploi. Aujourd’hui encore, cette génération précaire est souvent très pauvre. Son avis est que la stagnation de l’économie japonaise est due à l’austérité. Elle plaide donc en faveur d’une augmentation des dépenses gouvernementales, de l’« assouplissement quantitatif » suivant la Théorie Monétaire Moderne18, afin que l’économie japonaise croisse davantage, qu’il y ait plus d’emplois, que les salaires augmentent. Donc, souvent, les précaires n’aiment pas mes idées, ni l’idée de décroissance.
Il existe un clivage malheureux dont la cause profonde est le capitalisme. Au Japon, il y a ce groupe appelé Hankinshukuha, « groupe anti-austérité », qui combat la décroissance. Ce groupe soutient que le Green New Deal est important, qu’il faut plus d’emplois verts, et que le capitalisme est bien alors que la décroissance va créer plus de pauvreté, de chômage : « le communisme de Saitō est trop extrême ». Je suis critiqué par des figures populaires parmi les travailleurs et travailleuses précaires, comme le parti populiste de gauche Reiwa shinsen-gumi de l’acteur devenu politicien Tarō Yamamoto 山本太郎.
Vous débattez volontiers avec des adeptes du capitalisme, qui peuvent admettre que le capitalisme est peut-être allé trop loin mais qui pensent que nous pouvons le réformer et que tout ira bien. Vous vivez également dans le pays du « Nouveau Capitalisme », nom du programme gouvernemental actuel. Qu’en est-il de cette tendance réformiste ?
Je pense que le « Nouveau Capitalisme » (Atarashii shihonshugi)
du premier ministre Kishida a été partiellement influencé par le succès
de mon livre, où je critique le capitalisme. À l’époque, les journaux
et magazines économiques en parlaient et j’ai été beaucoup lu dans les
milieux politiques, y compris au Parti Libéral Démocrate [droite
nationaliste, NDLR] au pouvoir. Le ministre de l’environnement, Shinjirō
Koizumi (qui est le fils de Junichirō Koizumi19
) a même été interpellé lors d’une discussion au parlement :
« Avez-vous lu le livre de Saitō ? Il critique la politique actuelle et
dit que l’économie verte n’est pas possible ! ». Le « Nouveau
Capitalisme » de Kishida est donc une sorte de réponse.
Une réponse de type greenwashing ?
Oui, mais intéressante.
En tant que contre-hégémonie ?
Oui. Mais il n’y a eu aucun changement substantiel depuis que cette politique a été lancée il y a deux ans. L’idée de redistribution de Kishida a disparu, il ne parle plus de corriger l’inégalité des richesses. À la place, il nous recommande d’investir dans le marché boursier ! C’est devenu le contraire, c’est devenu un non-sens.
Lorsque je discute de ce type de tentative de réforme du capitalisme, mon principal argument est simple : lorsque l’économie se développe, historiquement, l’utilisation de l’énergie et des ressources augmente également. Donc, à moins que ce découplage entre la croissance économique et l’utilisation des ressources et de l’énergie ne devienne possible, si nous essayons de continuer à croître, cela conduira à un désastre écologique – or ce découplage n’a pas lieu.
Nous devons donc renoncer à la croissance économique : cela ne signifie pas que nous devons vivre dans la pauvreté, n’est-ce pas ? Je ne dis pas que nous devrions réduire l’éducation, les transports publics ou les services médicaux. Je dis simplement que nous n’avons pas besoin d’autant de supérettes, de McDonald’s ou de gyūdon20, ou de fast fashion Uniclo ou Muji, ces choses peuvent être réduites sans réduire notre bien-être social. Nous vivons dans une société de production et de consommation excessive.
Dans Le Capital dans l’Anthropocène,
vous mentionnez souvent que nous avons un mode de vie impérial. Dans la
première partie de votre livre, on voit que le Japon est très dépendant
et vulnérable, et peut s’effondrer très facilement s’il y a une crise
majeure (par exemple la majorité de la nourriture est importée). De même
qu’avec la guerre en Ukraine, les gens en Europe ont soudain réalisé à
quel point nous sommes dépendants de l’économie mondiale. Avez-vous
réussi à faire prendre conscience de cette vulnérabilité ?
Ce qui s’est passé au Japon après le déclenchement de la guerre en Ukraine est plutôt réactionnaire. Les gens se sont focalisés sur des réalités économiques à court terme, par exemple comment obtenir plus de gaz ou plus de pétrole, et nous parlons maintenant de prolonger l’utilisation des centrales nucléaires – qui ont maintenant 40 ans mais que nous essayons de prolonger à 60 ans. Beaucoup attribuent l’inflation à la guerre ou à l’énergie verte, et réclament davantage d’énergie nucléaire ou de charbon.
Les gens ont tendance à oublier la crise à long terme du changement climatique. Bien sûr, certaines et certains – dont je fais partie – disent que c’est un problème et que nous devons avoir une plus grande autosuffisance énergétique et alimentaire parce que nous sommes trop dépendants de la Chine, de la Russie et d’autres pays, et que si quelque chose arrive avec la Chine, nous serons toutes et tous morts. Mais je pense que l’opinion publique générale penche plutôt de nouveau vers le nucléaire et estime que nous avons besoin d’autres moyens pour obtenir de l’énergie et la sécurité alimentaire.
Vous employez dans votre livre une expression très forte : l’« état de barbarie » (yaban jōtai), qui en japonais renvoie à une image horrible de ce que le changement climatique peut produire si nous ne faisons rien. Cette image a-t-elle choqué les gens ?
J’utilise ce terme pour que les gens se rendent compte de la gravité de cette crise. Vous êtes au Japon depuis un certain temps : vous avez vu que l’intérêt général pour la crise climatique est très faible. Il n’y a pas de parti vert, nous n’avons pas de discussion sérieuse sur le Green New Deal, des entreprises comme Toyota ne fabriquent même pas de voitures électriques, Kishida parle de centrales à charbon de haute technologie… Ce retard est choquant, même pour moi !
Suite à la popularité de mon livre, je pensais que les gens s’intéresseraient davantage à la crise climatique. C’est tout l’intérêt d’écrire ce genre de livre grand public. Mais dans la société japonaise, la crise climatique est marginalisée. C’est très différent de la France, de l’Allemagne, des États-Unis. Je ne comprends pas et j’ai besoin de trouver une explication !
Parmi les collègues avec lesquel·les j’en parle, personne n’en a. Certain·es disent que c’est parce que le Japon a beaucoup de catastrophes naturelles, comme des tremblements de terre, et que les Japonais·es penseraient donc que la nature est quelque chose que nous ne pouvons pas contrôler. Ils ou elles considéreraient le changement climatique comme quelque chose auquel il faut s’adapter, et non pas contre lequel lutter. Au contraire, les Européen·nes penseraient que l’être humain peut dominer la nature : très contrariés que la nature se révolte, ils et elles essaient de faire quelque chose. Mais c’est une explication très culturelle. En tant que marxiste, je recherche des explications plus socio-économiques. Mais je n’en ai pas encore trouvé.
Vous faites un travail théorique, mais vous participez aussi à des manifestations. Quelle est votre position en tant que chercheur, et surtout en tant que penseur radical ?
Le Japon est une société plutôt conservatrice. Ainsi, simplement participer à une manifestation est considéré comme quelque chose de très dangereux. Beaucoup de gens détestent ce genre d’activités, et même s’ils sont intéressés, ils ne participent pas parce qu’ils ont peur d’être considérés comme des fous furieux. En tant que professeur qui enseigne à l’université j’ai davantage de liberté de m’exprimer en public. Je considère cela comme une sorte de responsabilité sociale que je dois toujours assumer. C’est pourquoi je vais aux manifestations et aux rassemblements chaque fois que je le peux. En même temps, je ressens souvent les limites d’une approche purement théorique : je pourrais me contenter de lire les carnets de Marx dans ce bureau, mais cela ne créera pas une théorie utile au monde d’aujourd’hui !
Je pense que le changement émerge vraiment des pratiques, des mouvements sociaux. C’est pourquoi j’ai écrit un autre livre pour lequel je me suis rendu dans de nombreux endroits au Japon et j’ai essayé d’apprendre des actions locales ou des activistes LGBTQ, par exemple. Comme vous l’avez remarqué, mon approche manque de perspective écoféministe, notamment. Bien sûr, je peux apprendre en lisant des livres écrits par des universitaires féministes, mais je dois aussi me rendre dans les endroits où les problèmes se posent, où les gens manifestent et protestent, où je peux en apprendre davantage. Je suis souvent en position d’enseigner, et les occasions d’apprendre se font de plus en plus rares. Alors qu’il y a tant de choses que je dois apprendre sur le féminisme, l’anti-impérialisme… Je suis un universitaire masculin vivant à Tokyo, plutôt aisé. En tant que membre privilégié de la société, j’ai besoin d’autres perspectives.