mercredi 9 octobre 2024

Série documentaire: "Vers la résilience alimentaire", d'après le guide rédigé par Les Greniers d'Abondance

 Source : https://www.youtube.com/watch?v=QLsCRCLqb9k&list=PLXevgjr3k1ILPEYqQw4YVGjO4U4TvtovA&index=1



Voies de résilience

n°1 – Augmenter la population agricole .................................................................49

n°2 – Préserver les terres agricoles..........................................................................61

n°3 – Favoriser l’autonomie technique et énergétique des fermes ........................71

n°4 – Diversifer les variétés cultivées et développer l’autonomie en semences ....81

n°5 – Adopter une gestion intégrée de la ressource en eau...................................91

n°6 – Évoluer vers une agriculture nourricière.......................................................101

n°7 – Généraliser l’agroécologie ...........................................................................111

n°8 – Développer des outils locaux de stockage et de transformation ................121

n°9 – Simplifer et raccourcir la logistique et l’achat alimentaire ..........................131

n°10 – Manger plus végétal...................................................................................143

n°11 – Recycler massivement les nutriments.........................................................153

 



samedi 5 octobre 2024

Ce que j’ai compris de l’éco-anxiété après avoir parlé avec 1 000 personnes l’ayant vécue

Source : https://vert.eco/articles/ce-que-jai-compris-de-leco-anxiete-apres-avoir-parle-avec-1-000-personnes-layant-vecue


Les recherches en ligne sur les termes éco-anxiété et anxiété climatique ont augmenté de façon spectaculaire au cours des cinq dernières années. Cela peut-il favoriser l’action climatique ? Une spécialiste de la santé mentale, qui a récolté les témoignages de plus de 1 000 personnes souffrant d’éco-anxiété, donne son éclairage.

Canicule en Amérique du Nord et certaines parties de l’Asie, inondations au Nigeria et au Brésil, typhon aux Philippines… Les catastrophes climatiques se sont encore multipliées cet été, alors que six des neuf limites planétaires de la Terre ont été franchies.

En tant que spécialiste de la santé mentale, je m’inquiète pour les personnes qui ne se sentent pas concernées par l’état de l’environnement en ce moment.


Une myriade de définitions

Les recherches Google concernant les termes «éco-anxiété» et «anxiété climatique» ont augmenté de 4 590 % entre 2018 et 2023. Qu’est-ce que l’expérience de cet état signifie, qui est concerné ? Cela peut-il contribuer à catalyser l’action climatique ? Autant de questions que j’ai étudiées ces dernières années dans le cadre de mon travail à la tête du Climate Cares Centre à l’Imperial College de Londres.


Qu’est-ce que l’«éco-anxiété» ? Le terme fait référence, de façon assez large, à la détresse que l’on ressent face à la destruction de l’environnement et à ses conséquences pour la vie humaine et non humaine. L’«anxiété climatique» concerne cette détresse lorsqu’elle est en lien avec le changement climatique.

Les catastrophes climatiques se sont encore multipliées cet été. Photo d’illustration : Matt Howard / Unsplash


L’éco-anxiété a été documentée pour la première fois en 2007. Depuis, il y a eu une explosion d’articles à ce sujet, à la fois parmi les publications scientifiques et dans les médias grand public. Il en a découlé une prolifération d’échelles, de définitions et d’autres termes connexes, comme «anxiété climatique» ou «chagrin écologique» (ecological grief en anglais).


Parmi les outils validés pour mesurer l’éco-anxiété, il existe désormais des échelles d’«inquiétude climatique», d’«anxiété climatique» et de «détresse climatique», qui mesurent toute une série de symptômes cognitifs, comportementaux, affectifs et fonctionnels. Beaucoup ont été créés et principalement testés dans les pays du Nord.


Dans la littérature académique, l’éco-anxiété a été définie de façon multiple et souvent variable : parfois comme «une peur chronique de la catastrophe environnementale», comme «une inquiétude sévère et débilitante liée à un environnement naturel changeant et incertain», ou encore comme «diverses émotions et états mentaux difficiles découlant des conditions environnementales et de la connaissance de celles-ci».


Dans la pratique, de nombreuses personnes utilisent le mot pour décrire toute une série d’états émotionnels autres que l’anxiété, notamment le chagrin, la colère ou la culpabilité, ou encore le sentiment d’accablement, d’impuissance et de désespoir.


Des craintes plus vives dans les pays les plus touchés

Des réactions émotionnelles aussi fortes face à la destruction écologique sont compréhensibles et peut-être même appropriées, mais elles ne sont pas universelles.


Lorsqu’on voit les dirigeants des entreprises d’énergies fossiles amoindrir leurs engagements en faveur du climat alors que leurs profits s’envolent, on est en droit de penser que la préoccupation de créer un avenir vivable pour l’humanité est la dernière chose qui préoccupe les dirigeants de nombreuses industries et de nombreux gouvernements.


D’autres personnes ont fait valoir que lorsqu’on vit au jour le jour, comme c’est le cas pour beaucoup avec la crise du coût de la vie, on n’a pas le temps de s’inquiéter de l’augmentation des températures mondiales, ou même que l’éco-anxiété ne s’appliquerait qu’aux enfants trop inquiets qui ont la vie plus facile aujourd’hui qu’à l’époque des guerres mondiales ou de la guerre froide.


Ont-ils raison ? L’«éco-anxiété» et l’«anxiété climatique» sont-elles l’apanage d’une jeunesse choyée qui, comme le diraient les rabat-joie, aurait besoin de se ressaisir ?


Je peux affirmer avec certitude que cela ne correspond pas à l’expérience que j’ai eue en écoutant de nombreux récits de personnes vivant déjà avec les conséquences des crises climatiques et environnementales. Au cours des deux dernières années, j’ai eu le privilège d’entendre 1 000 personnes situées dans 90 pays dans le cadre de Connecting Climate Minds, une initiative mondiale financée par Wellcome et visant à établir un programme de recherche et d’action harmonisé dans le domaine du changement climatique et de la santé mentale.


Parmi ces personnes figuraient des jeunes, des communautés autochtones, des petits exploitants agricoles et des pêcheurs, ainsi que des chercheurs, des décideurs politiques, des responsables de la société civile, des professionnels de la santé et des personnes impliquées dans l’action en faveur du climat.


Pour beaucoup, si ce n’est la plupart des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus, la crise climatique est une réalité quotidienne qui alimente les inquiétudes quant à l’avenir


Les statistiques le confirment. Dans les données que nous avons recueillies auprès de près de 3 000 jeunes aux États-Unis, ceux qui déclarent avoir une expérience directe du changement climatique ont des scores d’éco-anxiété plus élevés – même si, bien sûr, il est difficile de démêler la logique de cause à effet de cette déclaration. Dans les données mondiales, cependant, la peur de l’avenir semble plus élevée dans les pays déjà plus touchés par le changement climatique. Par exemple, 84 % sur 1 000 jeunes interrogés aux Philippines en 2021 étaient très ou extrêmement préoccupés par le changement climatique, contre 58 % en France (selon une étude publiée dans The Lancet, NDLR). C’est également le cas dans les groupes qui supportent déjà les coûts les plus élevés et/ou qui ont des liens étroits avec la terre, notamment les communautés autochtones et la jeune génération qui hérite de la crise.

La peur de l’avenir semble plus élevée dans les pays déjà plus touchés par le changement climatique, indique Emma Lawrence. Photo d’illustration : Li-an Lim / Unsplash


Ces groupes sont confrontés à la plus grande injustice et pourtant, ce sont ceux qui ont le moins de pouvoir pour faire changer les choses. Selon les termes d’un jeune participant aux dialogues Connecting Climate Minds, en conséquence de l’intensification des catastrophes climatiques : «L’avenir n’est pas brillant, il est noir, plutôt que brillant.»


Tandis qu’un participant au dialogue Connecting Climate Minds Amérique latine et Caraïbes a rapporté qu’une jeune fille leur avait dit qu’elle voulait : «abandonner l’école de médecine parce qu’elle allait faire vivre les gens plus longtemps alors que la planète allait souffrir».


Les descriptions des symptômes de santé mentale et de bien-être liés au changement climatique varient considérablement d’un contexte à l’autre. En fonction de leur familiarité avec les différentes terminologies, les personnes concernées ne les décriront pas forcément par le terme «éco-anxiété». Les personnes touchées par des facteurs de stress liés au climat ont par exemple parlé de manque de sommeil, de maux de tête, de sentiments dépressifs et même de suicide, avec des variations dans l’utilisation du terme «éco-anxiété», bien que la plupart des régions l’aient trouvé important.


La détresse ressentie par toutes ces personnes, dans toutes les cultures et tous les contextes, est-elle vraiment de l’«éco-anxiété» ? Est-il utile de l’appeler ainsi ?


Comme c’est le cas pour de nombreuses étiquettes, certains de nos interlocuteurs trouvent extrêmement utile de disposer d’un terme pour décrire et valider leur expérience. Par exemple, Jennifer Uchendu, fondatrice de Sustyvibes, un groupe de jeunes pour l’action climatique au Nigeria et au Ghana, a déclaré que «le fait d’avoir un nom pour ces émotions fortes a été très puissant pour moi et pour de nombreux jeunes avec lesquels je travaille en Afrique, nous avons toujours su que l’état de la planète avait un impact psychologique mais nous avons souvent eu du mal à décrire nos sentiments».


Trauma collectif et expériences individuelles

Toutefois, certains redoutent que le terme «éco-anxiété» ne soit utilisé pour individualiser – et pathologiser – un problème qui trouve ses racines non pas au niveau individuel, mais plus largement dans la société. Alors qu’il s’agit d’un traumatisme collectif et d’une réponse à ce qui est perçu comme une menace existentielle.


Ce terme, basé sur le mot «anxiété», risque également de masquer la diversité et les nuances des réponses émotionnelles et psychologiques à la crise climatique. Il risque également d’occulter ce que ressentent les communautés où le changement climatique est non seulement vu comme une prolongation du colonialisme, mais aussi comme une exacerbation de ses injustices.


Par exemple, les premières recherches suggèrent qu’un terme apparenté à l’éco-anxiété, la solastalgie, qui fait référence à la détresse ressentie en relation avec le déclin environnemental dans son propre environnement, sorte de mal du pays ressenti alors que l’on est encore chez soi, ne rend pas pleinement compte de l’expérience des communautés des îles du Pacifique. Pour celles-ci, «la perte de terres équivaut à une perte de culture, d’identité, de bien-être et de liens de parenté».


Un participant autochtone à Connecting Climate Minds expliquait en ces termes ses difficultés, en lien avec le mot anxiété et les autres termes relatifs à la santé mentale : «L’incertitude est utile car elle nous permet de nous appuyer sur nos aînés au sein de notre communauté. Mais l’anxiété est une construction occidentale. Le langage de la gestion, le langage de la crise n’est pas le nôtre. Cette terminologie de l’anxiété doit être rangée dans une boîte quelque part. C’est une distinction importante.»


Les modèles psychologiques émergents, qui cherchent à contextualiser les «symptômes» de santé mentale comme des réponses compréhensibles à des menaces vécues, ancrées dans les structures de pouvoir – tels que le Power Threat Meaning Framework – ont noté que : «des étiquettes telles que “anxiété climatique” ou “solastalgie” peuvent, si elles ne sont pas utilisées avec précaution, servir à déconnecter les réponses des menaces et les rendre inintelligibles.»


Il est important de noter que la multiplication des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes – et leurs effets déstabilisants sur la sécurité alimentaire et hydrique, les moyens de subsistance, les soins de santé, l’éducation et les communautés entières – est liée à toute une série de problèmes de santé mentale qui vont bien au-delà de ce que l’on entend généralement par éco-anxiété. Notamment le suicide, le stress post-traumatique, la dépression, l’abus de substances et l’anxiété.


Les personnes souffrant de problèmes de santé mentale peuvent être particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique, et risquent d’ailleurs davantage de mourir dans des conditions de chaleur extrême. Bien que l’éco-anxiété ne soit pas en soi un signe de mauvaise santé mentale, c’est un facteur de stress qui peut aggraver la santé mentale et le bien-être. À cet égard, sa pertinence pour les systèmes de santé mentale fait l’objet d’un vif débat. Si elle est gérable pour certaines personnes, elle peut, pour d’autres, nuire à leurs relations et même à leur capacité à fonctionner.


L’éco-anxiété est-elle bonne pour l’environnement ?

De façon anecdotique, lorsqu’on a demandé à des Britanniques d’identifier leurs émotions face à la crise climatique en 2023, le sentiment le plus fréquent était «l’impuissance». C’est ce sentiment d’impuissance et de désespoir qui a été associé à la fois à une baisse du bien-être et à un comportement moins positif à l’égard de l’environnement.


L’inverse est-il vrai ? Autrement dit, existe-t-il des personnes qui expriment une grande détresse face à l’état de l’environnement tout en menant une vie plus durable ? Une anxiété «saine et non pathologique» pourrait-elle ainsi servir à des fins d’adaptation, par exemple pour agir en faveur de l’environnement ?


Oui, ont affirmé de nombreuses personnes, dont une équipe de chercheurs australiens en mai 2024. Mais cela dépend aussi du contexte, des ressources et des actions considérées.


En effet, l’«éco-anxiété» revêt une large gamme de symptômes différents. En examinant les nuances de l’expérience des participants, les chercheurs ont découvert que l’«inquiétude» ou la «rumination» au sujet de l’environnement prédisaient des comportements pro-environnementaux, mais que ce n’était pas le cas pour les charges émotionnelles ou comportementales plus fortes (comme un sommeil moins réparateur et ou grande détresse émotionnelle).


Comme l’écrivent ces chercheurs : «Lorsque l’éco-anxiété perturbe le sommeil, les interactions sociales et le travail ou les études d’une personne, sa capacité à faire des choix de vie respectueux de l’environnement est réduite.»


Mais le fait de ruminer les mêmes pensées et les manifestations comportementales de l’éco-anxiété étaient, dans l’étude, elles-mêmes corrélées. Cela montre la nécessité de mener davantage de recherches pour mieux démêler ce lien et mieux comprendre la complexité de l’expérience de l’éco-anxiété à l’échelle individuelle.


Au niveau psychologique, nous répondons tous à la crise climatique. Même des réactions contre-productives, comme le déni, peuvent s’inscrire dans une logique de défense pour se sentir en sécurité dans un contexte dangereux, ou pour nous éloigner de réalités inconfortables. Il peut être utile d’ouvrir une saine discussion pour échanger sur ce qui a de la valeur pour nous et que nous souhaitons préserver dans un monde qui doit changer. Les gens s’en soucient généralement bien plus que ce que l’on imagine, et la majorité serait même prête à donner une partie de son salaire pour financer l’action climatique.


En tirant parti de nos différentes positions et perspectives dans la société, nous pouvons tous contribuer à créer des environnements propices à l’action climatique, à tous les niveaux, qu’ils soient juridiques, culturels, scientifiques ou sociaux. Cela peut aider à atteindre des «points de bascule» sociaux avant que tous les points de bascule climatiques ne soient atteints.


Apprendre à vivre avec l’incertitude

La détresse liée au changement climatique serait considérablement réduite si une action proportionnée était visible de la part des dirigeants. Je suis fermement convaincue que la meilleure intervention, en matière de santé mentale dans la crise climatique, est une élimination rapide, équitable et financée des combustibles fossiles.


Mais comme la plupart des gens n’ont pas les possibilités d’éviter les conséquences du changement climatique, pour mieux vivre la crise climatique, il nous faut réapprendre à mieux vivre de façon générale. Certaines pratiques de réflexion peuvent nous aider à faire face de manière constructive à l’éco-anxiété et à renforcer notre santé mentale en général.


Il nous faut donc accepter le désordre et la confusion qui entourent le changement climatique. Sa complexité, ses nuances, la coexistence de la crise climatique et environnementale. Mais également la cohabitation du chagrin, du désespoir, de la peur, de l’espoir et de la joie. Cultiver le sentiment que les choses ne vont pas bien, mais qu’on peut les améliorer : cela permet de réduire l’anxiété tout en se protégeant des impostures du catastrophisme.


Comme l’a écrit Rebacca Solnit : «Ce qui nous motive à agir, c’est un sentiment de possibilité dans l’incertitude – que le résultat ne soit pas encore entièrement déterminé et que nos actions puissent compter pour le façonner.»


lundi 30 septembre 2024

« Les sociétés varient selon leurs façons d’organiser leurs attachements à leur milieu » - Charles Stépanoff

Source : https://reporterre.net/Les-societes-varient-selon-leurs-facons-d-organiser-leurs-attachements-a-leur-milieu

© Mathieu Génon / Reporterre
Attachements — Enquête sur nos liens au-delà de l’humain, de Charles Stépanoff, aux éditions La Découverte, septembre 2024, 640 p., 27 euros. 

Dans son essai « Attachements », l’anthropologue Charles Stépanoff propose une réflexion sur la manière dont nous entretenons des relations avec le reste du vivant. Il nous invite à repenser la manière dont nous habitons le monde.

Comment tissons-nous des liens avec le monde vivant ? Comment ces liens influent-il sur nos organisations sociales ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles tente de répondre l’anthropologue Charles Stépanoff dans son essai, Attachements, publié le 12 septembre à La Découverte. Une somme passionnante, mêlant enquête ethnographique, histoire, psychologie cognitive et philosophie. Entretien.



Reporterre — Les communautés humaines se repartissent selon vous autour de deux pôles : celles qui cultivent des « réseaux denses » avec le monde vivant, et celles qui entretiennent des réseaux « étalés ». Qu’entendez-vous par là ?

Charles Stépanoff — Sur le plan métabolique, les humains exploitent une quantité énorme d’espèces : des crustacés, des oiseaux, des plantes, des champignons... Sur le plan affectif, nous avons également une capacité unique à prêter une âme et éprouver de l’empathie envers les animaux, les arbres et même les rivières et les montagnes.

Les sociétés humaines varient selon leurs façons d’organiser leurs attachements à leur milieu. Les réseaux denses se basent sur des liens à la fois d’exploitation et d’empathie avec de nombreuses espèces. C’était le cas là où j’ai travaillé en Sibérie, chez les Tozhu, où au moins une cinquantaine d’espèces servent à l’alimentation, au chauffage, aux vêtements, à l’habitat, à la santé… et ont aussi un rôle mythologique. Le genévrier, par exemple, peut servir à se chauffer, mais a aussi des usages rituels et thérapeutiques.

Le mode de vie urbain, dominant autour de nous, est à l’extrême opposé. Les espèces avec lesquelles on interagit sont très peu nombreuses et nos relations avec elles sont simplifiées. Les végétaux du jardin du Luxembourg servent d’ornement, mais certainement pas de combustible — ou alors, on risque d’avoir un problème avec les gardiens.

Nous avons un rapport principalement d’ordre empathique et esthétique avec notre milieu vivant immédiat. Pas parce que nous sommes devenus des anges sans métabolisme, mais parce que nous faisons venir notre approvisionnement de zones éloignées de notre lieu de vie : des tomates d’Espagne, des énergies fossiles ou de l’uranium qui nous permettent de vivre en appartements dans un microcosme semi-tropical alors qu’on est dans des zones tempérées... Dans ce système-là, il y a une séparation entre l’habitat et les zones d’approvisionnement. C’est ce que j’appelle des réseaux étalés.

Comment en sommes-nous arrivés, en Occident, à n’avoir plus que des rapports affectifs avec le vivant ?

C’est ce qui m’avait intéressé lors de ma précédente enquête, L’animal et la mort. On peut distinguer en Occident deux grands rapports assez contradictoires à l’animal : l’animal-enfant, d’un côté, et l’animal-matière. L’animal-enfant, c’est l’animal de compagnie, chien ou chat principalement, qui est un support d’affect et à qui l’on offre la nourriture, des soins vétérinaires, mais qu’on ne laisse pas grandir ni se reproduire librement, et à qui l’on ne donne pas accès à ses compétences de prédateur.

De l’autre côté, des animaux-matières servent à produire un minerai de viande utilisé dans l’industrie agroalimentaire. Ce sont les cochons, les poulets, les vaches, qui produisent de la viande et du lait de la façon la plus rationalisée possible, et avec lesquels on n’est pas censé nouer des relations affectives, puisqu’ils nous servent uniquement d’aliment.

Ces deux rapports sont complémentaires : si les chiens et les chats peuvent vivre dans des appartements, c’est parce qu’on a pu produire de la viande à bas coût en industrialisant la vie des autres animaux, et en faire des croquettes pas chères.

Dans d’autres régions du monde, vous montrez que ces différentes visions des animaux sont davantage entremêlées…

Ça l’était même chez nous, il n’y a pas si longtemps. Le cochon pouvait être un animal compagnon, soigné par les femmes, et traité comme un bébé. On ramassait des herbes le long des routes pour lui, on lui préparait sa bouillie, on le promenait en laisse… Il avait sa place dans la communauté hybride constituée par la ferme, et était quand même mangé lors d’une fête collective.

Ça existe encore chez certains groupes paysans et dans d’autres sociétés, où cette complexité du rapport à l’animal est au cœur de la vie quotidienne. Chez les peuples turco-mongols, le cheval est un compagnon de vie, réputé plus intelligent que l’humain, qui guide, protège, prévient quand il y a des mauvais esprits… Et puis à la fin de sa vie, on l’abat et on le mange. Et il n’y a pas de contradiction. Dans le monde de l’équitation en France, c’est un tabou absolu.

Pourquoi cantonnons-nous ainsi les animaux à des rôles spécifiques ?

Ça nous permet de camoufler la violence de notre rapport au monde, en la déléguant à l’industrie ou au tiers-monde. C’est un processus manifeste et historiquement bien décrit. Dès le XVIᵉ siècle, des philosophes ont considéré que le sang ne devait plus couler en ville. Ça a été mis en œuvre au XIXᵉ et au XXᵉ siècle : les abattoirs se sont éloignés de plus en plus des villes, et sont devenus de plus en plus fermés.

Il y a eu à la fois une massification et une occultation de la mort et de la violence. Elles n’ont pas disparu. Au contraire, elles ont explosé, mais de manière cachée. Ce camouflage résout des problèmes moraux au niveau individuel, mais ne résout pas le problème sur le plan collectif, ni écologique.

En quoi ce phénomène contribue-t-il à la destruction de la planète ?

Déléguer notre rapport au vivant nous libère de toute forme de contrainte ou d’autolimitation. Si l’on n’a pas à percevoir le fait que la viande vient d’êtres vivants qui ont des affects, on peut en manger sans limite, parce qu’on n’a pas à vivre le trouble que provoque le fait d’abattre soi-même un animal. Et l’on peut jeter de la viande sans aucun problème, puisque l’on n’a jamais regardé un cochon dans les yeux.

Quand je vais chez des éleveurs qui font de l’élevage en plein air, ils connaissent le nom du cochon dont on mange les rillettes. C’est toute une relation humain-animal qui est enfermée dans la terrine. Ça pousse à une forme de respect et de sobriété.

Le fait que l’humain, in fine, ait le droit de vie ou de mort sur l’animal ne produit-il pas forcément une relation asymétrique, et donc non éthique ?

L’élevage est asymétrique car l’humain abat les animaux et non l’inverse, mais cela n’implique pas absence d’éthique. Au contraire, cela implique une responsabilité et un pacte. Les éleveurs paysans ou autochtones mettent leur existence au service des animaux.

J’ai vécu chez des éleveurs en Sibérie qui donnaient littéralement leur vie pour leurs animaux : ils acceptaient de vivre dans des zones très confortables pour les rennes mais épouvantables pour la physiologie humaine, au point que certains y meurent de froid ou tués par des ours.

La vie sur Terre est pleine de relations asymétriques de domination : entre proies et prédateurs, entre parents et petits, entre animaux dominants et soumis, et il n’y a pas à considérer que la domination serait en soi non éthique. Sinon c’est la vie qui n’est pas éthique.

Il faut se demander si la domination se réduit à la violence, ou si elle est prise dans quelque chose de plus complexe, de plus riche, qui crée un socio-écosystème résilient où plusieurs espèces trouvent un habitat. La question écologique de la possibilité d’une vie partagée sur plusieurs générations me semble cruciale.

Vous remettez en question, dans votre livre, l’idée selon laquelle la domestication relève forcément de l’asservissement. Vous évoquez notamment le cas des Tozhu et de leurs rennes, en Sibérie. La domestication relève davantage, là-bas, de l’échange de bons procédés : les rennes restent près des humains car ils aiment leur urine, et les humains dégustent, en retour, leur lait…

Quand j’ai fait mes enquêtes de terrain en Sibérie du Sud, j’ai été perturbé dans mes certitudes d’anthropologue. Les définitions que j’avais apprises et que j’enseignais aux étudiants sur la domestication étaient contredites par ce que j’observais : les rennes ne sont pas nourris, il n’y a pas d’enclos, pas de surveillance, on ne les protège pas contre les prédateurs…

Il n’y a pas non plus d’isolement génétique : il est courant que ces rennes domestiques se reproduisent avec des rennes sauvages. Les gens sont au campement, et les rennes s’en vont le matin au pâturage, un peu comme des enfants qui vont à l’école et reviennent le soir. S’ils ne reviennent pas pendant plusieurs jours, on ne s’inquiète pas trop.

Les rennes ne sont pas élevés pour être mangés mais plutôt comme compagnons vivants, étant utilisés comme monture indispensable à la vie quotidienne.

« Dans notre scénario à nous, l’humain est le seul agent »

Les Sibériens racontent des histoires assez curieuses sur la naissance de cette relation : une femme serait allée uriner dans la forêt, et les rennes s’en seraient approchés. Ils ont passé un accord : en échange de son urine, elle a pu les traire et les monter. C’est un pacte de solidarité, plutôt qu’un asservissement. Ceci a des implications morales : les gens ne peuvent pas traiter ces êtres uniquement comme de la matière.

C’est très différent de notre modèle, selon lequel les humains sont les créateurs des espèces domestiques. On raconte que, face à une pénurie, les chasseurs-cueilleurs auraient pris le pouvoir sur les céréales et sur les animaux, en les enfermant et en les transformant par la sélection génétique pour en faire des objets de consommation. Dans notre scénario à nous, l’humain est le seul agent, et les autres êtres subissent passivement ce changement d’attitude.

Comment en sommes-nous arrivés à penser cela ?

Avant le XVIIIᵉ siècle, « domestique » désignait ce qui a rapport à la maison ou qui vit autour, comme le moineau ou la souris. Le terme « domestique » a changé de sens au XVIIIᵉ siècle. Chez le naturaliste Georges-Louis Leclerc de Buffon [1707-1788], notamment, il est venu désigner le fait d’être soumis à l’autorité humaine.

Dans les conceptions paysannes, c’était Dieu qui avait créé les animaux et les plantes domestiques, et les avait offerts — sous certaines conditions — aux humains. Il aurait, par exemple, enlevé des grains à l’épi de blé parce que les gens le gâchaient et — sacrilège ! — l’utilisaient pour torcher leurs enfants.

À l’inverse, Buffon a affirmé que l’homme a créé le blé à partir de graminées sauvages, surpassant ainsi la création divine. C’est à ce moment-là qu’est née l’idée selon laquelle l’humain améliore la nature. Elle a été appliquée aux animaux, notamment par [le zoologiste] Isidore Geoffroy Saint-Hilaire [1805-1861]. Il a fait de la domestication une vraie pratique en essayant de domestiquer kangourous et autruches. Des institutions ont été créées, comme le Jardin d’acclimatation. C’est dans ce contexte qu’est née notre notion moderne de domestication, comprise comme le contrôle de la reproduction.

Quel a été le rôle de l’État dans ce renversement de notre rapport à la domestication ?

Dès le Moyen Âge, en Europe de l’Ouest, les seigneurs ont tenté des croisements de chiens de chasse pour créer des types plus performants. Mais une systématisation de ces pratiques intervient à partir du XVIIᵉ siècle, quand le ministre Jean-Baptiste Colbert a pris des mesures pour améliorer les races de chevaux. Des édits donnaient des indications sur la façon dont devaient être gérés les étalons confiés à la noblesse, qui ont fini par avoir un monopole sur la reproduction.

Le but était de créer une race de chevaux de guerre plus robustes et plus rapides. Colbert a aussi tenté d’organiser un monopole sur les reproducteurs ovins pour la production de laine à des fins commerciales. Après un échec, ce projet a repris au XVIIIᵉ siècle, avec la création de l’école des bergers de Rambouillet, qui est devenue la Bergerie nationale.

Pour qu’advienne notre modèle moderne de domestication, il a fallu qu’apparaissent des institutions centralisées extrêmement fortes, tellement fortes qu’elles existent toujours aujourd’hui.

Peut-on sauver la domestication, en inventer une forme plus morale ?

Nous avons renoncé depuis longtemps à l’idée qu’il existe une seule forme de civilisation, la nôtre. Nous admettons l’existence de civilisations chinoise, inca, arabe, etc. Il est temps d’en faire autant pour la domestication : il en existe des formes très diverses car il y a eu des foyers de domestication en Amazonie, en Afrique, en Inde, en Papouasie, etc.

En chacun de ces lieux, des humains ont tissé des liens originaux avec des plantes et des animaux, fondés sur des mythologies et des éthiques singulières. Les explorer nous ouvre un champ des possibles infini.

Comment renouer des liens profonds, nombreux et forts avec le reste du vivant ?

Je pense que les humains ont toujours des liens riches et intéressants avec le vivant, même notre bipartition entre animal-enfant et animal-matière est originale ; par contre, elle est difficilement soutenable sur le plan écologique.

D’autres modes de relation au vivant — comme le nomadisme pastoral, l’agriculture paysanne — ont plusieurs millénaires d’expérience, et ont tenu bon. À l’inverse, ce que nous avons mis en place à partir du XVIIIᵉ et XIXᵉ siècle a entraîné, en seulement quelques siècles, des menaces pour le système-Terre dans son ensemble.

Les modes de vie résilients sont caractérisés par une diversité de liens multifibres aux espèces et ne délèguent pas à d’autres groupes dominés la complexité et la violence des rapports humains avec le milieu vivant.


dimanche 29 septembre 2024

400 kilos

Source : https://www.youtube.com/watch?v=fxis7Y1ikIQ

Le trajet en avion d’un européen moyen produit en moyenne 400 kilos de gaz à effet de serre par passager... C’est le poids d’un ours polaire adulte.

Don't look up. 




samedi 21 septembre 2024

Probabilité d'un effondrement de l'AMOC au 21ème siècle

Source : https://arxiv.org/html/2406.11738v1?s=09


On craint de plus en plus que la circulation méridionale de retournement de l’Atlantique (AMOC) ne s’effondre au cours de ce siècle, avec un impact sociétal perturbateur sur de grandes parties du monde. Les estimations préliminaires de la probabilité d’un tel effondrement de l’AMOC étaient jusqu’à présent basées sur des modèles conceptuels et des analyses statistiques de données indirectes. Nous fournissons ici des estimations basées sur l’observation de ces probabilités à partir de données de réanalyse. Nous identifions d’abord les régions d’observation optimales d’un effondrement de l’AMOC à partir d’une récente simulation d’un modèle climatique mondial. Les données de salinité près de la limite sud de l'Atlantique s'avèrent optimales pour fournir des estimations du moment de l'effondrement de l'AMOC dans ce modèle. Sur la base des produits de réanalyse, nous déterminons ensuite les fonctions de densité de probabilité du temps d'effondrement de l'AMOC. Le temps d'effondrement est estimé entre 2037 et 2064 (IC 10-90 %) avec une moyenne de 2050 et la probabilité d'un effondrement de l'AMOC avant 2050 est estimée à 

59±17%.

[...]

Notre travail conduit donc à deux conclusions majeures. 

  1. Les observations à la limite sud de l'Atlantique semblent cruciales pour l'alerte précoce d'un AMOC effondrement. En conséquence, il est important que les mesures SAMBA se poursuivent au cours des prochaines décennies. 
  2. Deuxièmement, la probabilité d’un effondrement de l’AMOC avant 2100 est très probablement sous-estimée. GIEC-AR6 et doit être reconsidéré dans le GIEC-AR7. 

dimanche 15 septembre 2024

Nouveaux récits

Les fictions de Reporterre

Source : https://reporterre.net/Les-fictions-de-Reporterre-249

Reporterre vous propose chaque premier samedi du mois une nouvelle de science-fiction inédite. Nous avons donné carte blanche à des autrices et auteurs pour écrire des textes qui nous transportent vers des futurs écologiques désirables.

  • Fiction 2 : Rongeurs, par Sylvie Lainé


La France à +2°c

Source : https://lafrancea2degres.fr/

Les impacts du changement climatique sont déjà visibles en France et dans le monde, et continueront de s’accroître. Pour pouvoir s’y préparer, il est essentiel de mieux se représenter ces conséquences.

The Shift Project

Source : https://theshiftproject.org/resilience-des-territoires/


https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2022/10/TSP_SRT_Cahiers_CAMPAGNES_WEB.pdf

Replay et support PPT de la présentation


Travailler mieux, un recueil de propositions

 Source : https://laviedesidees.fr/Travailler-mieux-un-recueil-de-propositions

Conditions de travail difficiles, perte de sens, manque de reconnaissance, accidents et maladies professionnelles, les maux du travail sont nombreux. Fondé sur les acquis des sciences du travail, le recueil de propositions « travailler Mieux » vise à répertorier les mesures susceptibles d’améliorer la qualité du travail en France.


Que sait-on du travail ?

Quelles sont les réalités du travail en France ? Qui sont les personnes concernées par les mauvaises conditions de travail, la pénibilité, les risques psycho-sociaux ? En quoi les modalités d’organisation et de management du travail sont-elles déterminantes pour expliquer les difficultés rencontrées ? Comment la digitalisation a-t-elle transformé le travail ? Pourquoi les inégalités de genre, intergénérationnelles, liées aux origines ou au handicap persistent-elles au travail ? Quelles sont les situations concrètes au travail dans différents secteurs industriels ou de services ? Quelles sont les conditions de travail et de rémunération des professions dites « essentielles » depuis la crise du Covid ? Telles sont quelques-unes des grandes questions abordées dans l’ouvrage collectif « Que sait-on du travail ? » publié aux presses de sciences Po en octobre 2023.

L’ouvrage rassemble 60 contributrices et contributeurs, parmi les meilleurs spécialistes de ces questions en France, des sciences de gestion ou sciences politiques économistes et sociologues du travail, psychologues ou ergonomes. Ils ont rédigé 37 chapitres concis, accessibles, informatifs, précis et détaillés, qui présentent leurs principaux résultats de recherche, afin de mieux faire connaître les réalités du travail en France aujourd’hui. 

Le livre est structuré en cinq grandes parties : 

1. Conditions de travail, santé au travail, sens du travail ; 

2. Management et organisation du travail ; 

3. Les effets de la digitalisation ; 

4. Les inégalités et les discriminations ; 

5 Les métiers essentiels.

L’ensemble dresse un constat plutôt alarmant sur les réalités du travail en France, constat qui appelle des solutions d’amélioration, ce qui est l’objet du recueil de propositions « travailler mieux ».


mardi 10 septembre 2024

Biais cognitifs et dérèglement climatique : comment agir collectivement ?

Source : https://www.youtube.com/watch?v=LMIPgWuMhs8


L'ignorance pluraliste, c'est quoi ?

https://www.tilt.fr/articles/lignorance-pluraliste-cest-quoi

Réchauffement climatique, déforestation, pollution… Que de sujets inquiétants pour notre avenir ! Pourtant, peu de personnes agissent vraiment en conséquence. Cette situation t’interpelle ? Une des explications pourrait être un concept encore peu connu en psychologie sociale : l’ « ignorance pluraliste ». On t’explique ça dans ce nouveau Tiltionnaire !

L’ignorance pluraliste : ce qu’on pense que les autres pensent

Imagine être à la fac et avoir l’impression d’être un extra-terrestre parce que tu n’es pas fan de faire la fête un shot de tequila à la main. Eh bien, en 1993, les chercheurs Deborah A. Prentice et Dale T. Miller ont réalisé une étude à Princeton qui a révélé que beaucoup d'étudiants se sentent exactement comme ça. 

Apparemment, même si la norme semblait être de boire beaucoup d’alcool, la plupart des étudiants interrogés avouaient ne pas être à l'aise avec ça, sauf qu’ils pensaient être les seuls à ressentir ça. Ce qui est vraiment drôle (ou pas), c'est que selon l’étude, ces étudiants ont commencé à changer pour s'adapter à ce qu'ils pensent être la norme. Donc, au lieu de rester fidèles à eux-mêmes, ils finissent par boire plus que prévu pour "s'intégrer", en pensant que c’est ce que les autres attendent d’eux.

C’est ce qu’on appelle l’ignorance pluraliste, un concept formalisé par Floyd Allport et Daniel Katz en 1930. L'ignorance pluraliste se produit lorsque les gens sous-estiment ou comprennent mal ce que les autres pensent ou font, souvent en pensant qu'ils sont seuls dans leurs opinions ou leurs choix. Cela peut conduire à suivre le comportement de la majorité en se basant sur des perceptions erronées de ce que les autres pensent ou font vraiment. 

On peut aussi utiliser l’ignorance pluraliste pour comprendre les phénomènes de soumission politique, particulièrement dans les régimes autoritaires. En raison du manque de libertés et de la propagande, il est particulièrement difficile de savoir ce que pensent les autres dans ces pays. Les populations croient souvent que la majorité est favorable, alors même qu’une majorité silencieuse est peut-être hostile au pouvoir en place. Personne n’ose vraiment s’exprimer. Il faut alors souvent un événement déclencheur très fort pour que la réaction soit collective et puissante.


L’ignorance pluraliste en contexte de crise climatique

Le problème de l’ignorance pluraliste, c’est qu’elle donne lieu à un dessaisissement attentiste : en gros, on attend que les autres agissent pour bouger et on s’imite. Les normes sociales intégrées sont vectrices d’inaction : nous adoptons des comportements parce que nous pensons – malgré nous – que la majorité a raison même si ce n’est pas le cas, ou alors parce qu’on n’ose pas affirmer sa différence. C’est pourquoi il existe souvent un décalage entre les opinions individuelles et la norme, même si on affirme tous ne pas se laisser influencer par les autres.

Par exemple, une grande partie de la population est aujourd’hui convaincue de la nécessité de réduire sa consommation de viande pour réduire son impact sur le climat. Pourtant, la norme sociale occidentale reste de manger de la viande, et donc beaucoup de gens, même s’ils sont convaincus à titre personnel, n’osent pas demander de repas végétarien lors de repas commun. Ils ont peur d’être perçu comme « l’écolo de service » ou d’être une contrainte pour le groupe en demandant un traitement spécial. Eh bien, c’est exactement ça : on préfère ne rien changer même si on se dit qu’il faudrait le faire, car on ne veut vraiment pas faire partie du groupe minoritaire ! 

La preuve, à l’inverse, un « omnivore » face à un groupe de végétariens va souvent dire qu’il ne mange pas tant de viande que ça.

Comment résoudre le paradoxe de l’ignorance pluraliste ? 

Agir et rompre le statu quo en manifestant son opinion, c’est aller contre ce phénomène psychologique. Parler du fait qu’on adapte nos choix alimentaires ou de nos moyens de transport pour des raisons climatiques, c’est un bon moyen d’envoyer le signal que la « norme » est en réalité en train de changer et donc de motiver les autres à agir aussi ! Et ça marche en particulier avec les gens dont on est le plus proche.

Des chercheurs l’ont prouvé grâce à une expérience dans des hôtels en Suisse et en Autriche sur la réutilisation des serviettes de bain pour économiser l’eau. Trois types de pancartes ont été placés (séparément) dans les salles de bain de l'hôtel. La première disait juste aux clients de limiter leur consommation de serviettes pour l'environnement. La seconde affichait : "75% des clients de l'hôtel réutilisent leurs serviettes", tandis que la dernière disait "75% des clients de cette chambre ont réutilisé leurs serviettes". Résultat : Le nombre de serviette à laver a été réduit de 40% et les clients ont plus influencés par ce qu’ont fait les clients précédents de la même chambre que si on leur parle juste d’environnement. Donc plus la personne qui nous fait part de son choix nous est proche, plus ses arguments vont avoir un effet sur nous et on va avoir tendance à l’imiter.


Autre article : https://thedecisionlab.com/fr/biases/pluralistic-ignorance

Autre article : https://www.cjd.net/dirigeant/developpement-du-dirigeant/biaise-moi-21-loues-soient-les-dissidents/


jeudi 5 septembre 2024

Histoire globale

Source : https://www.youtube.com/watch?v=SjgRbA918Bg

Podcast : Métabolisme de nos sociétés

Dans cet épisode, on va explorer comment l’humanité a complètement bouleversé son environnement au cours des 12 000 dernières années, et comment ces changements nous ont impactés en retour.

Nous allons étudier comment les sociétés humaines des Amériques, de l’Europe et de la Chine se sont transformées durant 4 grandes périodes de l’histoire :

Le Néolithique, l'âge des empires, la modernité , et la grande accélération.

Quels sont les éléments clés qui ont fait basculer nos sociétés, des fois jusqu’à leurs effondrements ? Qu’est-ce que le passé nous apprend pour faire face aux crises actuelles et futures ?

Laurent Testot est journaliste scientifique et spécialiste d’histoire globale  


 

samedi 31 août 2024

CO2, climat, GIEC

Outil d'éducation populaire : la Fresque du climat

Source : https://fresqueduclimat.org/

 

POUR AGIR, IL FAUT COMPRENDRE !

Depuis sa création en 2018, La Fresque du Climat permet aux individus et organisations de s’approprier le défi de l’urgence climatique, car c’est un outil :

Scientifique

Le jeu La Fresque du Climat est un outil neutre et objectif.

Il est fondé sur les données issues des rapports scientifiques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dont les recommandations orientent les décisions politiques et économiques à l’échelle mondiale.

Accessible

Son approche ludique et pédagogique permet à tous les publics de s’approprier le sujet des changements climatiques.

Cette approche vise à éviter une descente verticale du savoir. Durant l’atelier, les participant·es relient les liens de cause à effets et intègrent les enjeux climatiques dans leur globalité.

Impactant

Sans culpabiliser et par une compréhension partagée des mécanismes à l’œuvre, La Fresque engage les individus dans un échange constructif.

À l’issue de l’atelier, les participant·es sont motivé·es et outillé·es pour agir à leur échelle.



Livre : Horizons climatiques, Rencontre avec neuf scientifiques du G.I.E.C.

Source : https://www.glenat.com/hors-collection-glenat-bd/horizons-climatiques-9782344058589

https://www.inee.cnrs.fr/fr/horizons-climatiques

 

À travers la parole des neuf scientifiques, dont Jean Jouzel et Valérie Masson-Delmotte, la bande dessinée documentaire "Horizons climatiques" offre une synthèse très claire des derniers rapports du GIEC. On y découvre les connaissances actuelles sur l'évolution du climat, les risques et inégalités sociales associés ainsi que des pistes de solutions réalisables, tout en abordant la légitimité de la science et le rôle des chercheurs. Iris-Amata Dion et Xavier Henrion nous livrent un véritable travail de vulgarisation scientifique dans cet ouvrage remarquable par sa structure et ses intervenants, et encouragent une réflexion individuelle et collective afin d'imaginer un chemin politique viable. Une lecture accessible, à mettre entre toutes les mains pour s’informer, comprendre et agir.

Les scientifiques :
Valérie Masson Delmotte, Christophe Cassou, Roland Séférian, Hervé Douville, Wolfgang Cramer, Virginie Duvat, Céline Guivarch, Henri Waisman, Jean Jouzel

Comprendre les enjeux du réchauffement

L'état des connaissances sur les changements climatiques, leurs causes et leurs impacts sont évalués depuis plus de 30 ans par le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat : le GIEC. La principale mission de ces scientifiques est de se partager la lecture de toutes les études et de les synthétiser sans aucun parti pris. Surtout, le GIEC met ses rapports à disposition des décideurs politiques et du grand public. Pourtant nous sommes nombreux et nombreuses à en ignorer les contenus ou ne pas savoir comment s'emparer des connaissances de ces rapports. C’est le cas de Xavier lorsqu’il croise Iris, jeune docteure en sciences du climat qui va le guider à la rencontre de neuf experts, auteurs et autrices de certains de ces rapports. Xavier va peu à peu changer sa façon de voir le monde et passer par toutes ces émotions qui accompagnent notre douloureuse et nécessaire prise de conscience (choc, déni, colère, acceptation…) sur ce sujet majeur du changement climatique et de son urgence.

À travers la parole des neuf scientifiques, dont Jean Jouzel et Valérie Masson-Delmotte, cette bande dessinée documentaire nous offre une synthèse très claire des derniers rapports du GIEC. On y découvre les connaissances actuelles sur l'évolution du climat, les risques et inégalités sociales associés ainsi que des pistes de solutions réalisables, tout en abordant la légitimité de la science et le rôle des chercheurs. Iris-Amata Dion et Xavier Henrion nous livrent un véritable travail de vulgarisation scientifique dans cet ouvrage remarquable par sa structure et ses intervenants, et encouragent une réflexion individuelle et collective afin d'imaginer un chemin politique viable. Une lecture accessible, à mettre entre toutes les mains pour s’informer, comprendre et agir.


lundi 29 juillet 2024

FLECHA SELVAGEM

Source : https://www.youtube.com/playlist?list=PLYysvnBmz4S32JaJupR9X815Kp5OkK3YE

La flèche sauvage est un film qui projette le SAUVAGE dans le langage audiovisuel, un rêve qu'AILTON KRENAK avait pour reporter la fin du monde.  

C'est un audiovisuel qui n'a pas généré de nouvelles images. Une expérience fruit des temps que nous traversons, dans laquelle nous devons apprendre à gérer le plus possible et, malgré cela, continuer à rechercher la beauté.  

La flèche ouvre la voie à de nouvelles questions, c'est une manière de propager les contenus dont nous parlons dans SAUVAGE. Ils s’adressent au grand public et sont également une invitation aux écoles, universités, points culturels et projets d’éducation communautaire à accéder à des récits plus pluriversifs.  

Ils sont disponibles sur notre chaîne YouTube sous-titrés en anglais et en français et sont accompagnés de CARNETS SAUVAGES à lire et télécharger gratuitement avec des informations complémentaires, des propositions d'activités et des activations. 

Chaque flèche est composée d'un récit dans la voix d'AILTON KRENAK avec un scénario écrit par ANNA DANTES.  

Une myriade irradiante d’images « composées » à partir de diverses archives indigènes, artistiques et scientifiques, ainsi que d’animations et de musiques originales.

Série en sept épisodes.










mercredi 26 juin 2024

Juliette Rousseau : « La fracture entre la gauche et les ruralités est quasiment totale »

Source : https://reporterre.net/Juliette-Rousseau-La-fracture-entre-la-gauche-et-les-ruralites-est-quasiment-totale


Juliette Rousseau : « La fracture entre la gauche et les ruralités est quasiment totale »

« Les ruralités sont un espace que la gauche ne pense pas, qui ne l’intéresse pas », écrit la militante bretonne Juliette Rousseau. Elle pourrait pourtant s’inspirer des pratiques de « ploucs » pour stopper le RN. 

[...]

Aujourd’hui encore, comme le rappelle la géographe Valérie Jousseaume, la ruralité reste majoritairement perçue comme une forme dégradée de l’urbain.

[...]

Et pourtant, ce « il va bien falloir faire avec » constitue l’une des principales raisons qui m’ont poussée à revenir à la campagne. Avec la solidarité matérielle, les coups de main entre voisins, pratiques si communes aux modes de vies ruraux et qui constituent la base d’un vivre ensemble qui n’a jamais tout à fait disparu.

Paradoxalement, si cela ne fait pas des ruraux des électeurs de gauche, je pense que la gauche gagnerait à s’en inspirer. J’ai toujours cru à la vie partagée, au fait de se rencontrer, de s’organiser avec celles et ceux qui nous sont proches géographiquement. C’est aussi un truc de plouc, de ceux que j’ai envie de me réapproprier pour les revendiquer. Les sciences sociales le désignent par l’expression « effet de lieu », c’est-à-dire une interdépendance et une interconnaissance profondes, liées à un lieu partagé.[...]

[...]

De la ruralité que je connais, j’aime les pratiques d’autonomie, de solidarité, et la défiance vis-à-vis de l’État, comme vis-à-vis des villes ou de ceux qui prétendent nous représenter sans jamais chercher à nous connaître ni nous traiter en égaux. Ces éléments peuvent poser les bases d’un tout autre projet politique. Cela va demander un travail de longue haleine, ainsi que l’instauration d’un rapport de force, tant vis-à-vis de l’extrême droite et de ses idées, que de la gauche et de ses impensés.

[...]

Construire et renforcer les réseaux de solidarité entre et avec celles et ceux que cette vision racialiste du monde met en danger. S’approprier les traditions et les rendre à nouveau vivantes, en mouvement, renouer avec celles que le patriarcat, le capitalisme ou le nationalisme ont effacé et qui peuvent nourrir l’émancipation vis-à-vis de ces systèmes d’oppression. S’attaquer aussi à la question de la production, depuis et avec celles et ceux qui en sont les rouages. Et tant d’autres choses encore.

[...]

Le chantier est immense mais nous avons pour nous la joie de faire avec la matière immédiate des lieux que nous habitons et de celles et ceux avec qui nous les partageons : un savoir-faire et un savoir-être de « ploucs » qui pourrait bien (re)trouver ses propres formes d’expression antifasciste et de libération. 


dimanche 23 juin 2024

L’urgence de penser la lourde défaite de l’écologie

Source : https://cedricchevalier.eu/situation-n3-lurgence-de-penser-la-lourde-defaite-de-lecologie/


 

Extraits

[...]

L’écologie est à la fois une science, une philosophie et une idéologie politique.

Elle connaît aujourd’hui une triple défaite, scientifique, philosophique et politique, qui dépasse la conjoncture électorale, puisque cela fait environ 50 ans qu’elle a émergé.

 [...]

Le courant écologiste a pour axe principal – plutôt que la liberté hors sol, l’égalité seulement entre humains, le passé réactionnaire ou le futur délirant – l’autonomie interdépendante entre humains et non humains, d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et de demain, le pluralisme des modes de vie soutenables, la Métamorphose pour mettre fin à l’Écocide, un Pacte social-écologique qui institue la Limite, l’épanouissement de l’Humanité et de la Vie sur Terre. 

[...]

Depuis environ 50 ans, l’écologie s’est constituée en courant politique – l’écologisme –, c’est-à-dire en force politique désirant changer la société, au même titre qu’avant elle l’humanisme, le libéralisme, le socialisme et le communisme. Aujourd’hui, ces quatre anciens courants politiques peinent tous à intégrer l’écologie – quand ils ne sont pas éco-sceptiques –, tandis que l’écologisme peine à devenir hégémonique et majoritaire. Ces cinq courants, anciens et écologiste, conservent leur vocation démocratique. Ils sont néanmoins confrontés à deux courants profondément antidémocratiques : le courant illimitiste, incarné par le capitalisme néolibéral transhumaniste, et le courant passéiste, incarné par le conservatisme traditionnel, le nationalisme et le néofascisme. Le capitalisme néolibéral transhumaniste est tourné vers un futur fantasmé sans limite, les conservateurs, nationalistes et néofascistes sont tournés vers un passé fantasmé limité. Ces deux courants sont sans conteste éconégationnistes. Ils nient l’écologie en bloc. Ces deux courants rejettent la rationalité critique des Lumières (pourquoi faire ceci ?) soit dans la rationalité instrumentale toute puissante (on peut donc on le fait) soit dans l’obscurantisme de la tradition (faisons ce qu’on a toujours fait).

[...]

L’écologisme reste, à ce jour, le seul courant politique qui a véritablement pris acte du caractère existentiel de l’écologie,  

[...]

En effet, il a pris acte que l’humanisme, le libéralisme, le socialisme et le communisme devaient être réactualisés à la lumière du fait écologique. Et que l’autonomie rêvée de l’être humain ne pourra être qu’interdépendante.

[...]

l’écologisme se distingue radicalement de TOUS les autres anciens et nouveaux courants politiques par un critère fondamental : l’axe de l’autonomie interdépendante. L’humanisme serait anthropocentriste alors que l’écologisme est écocentriste ; le libéralisme aurait une conception indépendante et non interdépendante de la liberté humaine ; le socialisme ne verrait que l’égalité entre humains et pas celle entre humains et non humains et enfin, libéraux, socialistes et communistes ne verraient pas qu’il existe, entre l’Etat et le marché, une autre forme de gouverner les êtres et les choses : les communs. Tous les anciens échoueraient en tout cas, pour l’instant, à concevoir la possibilité, la nécessité et la souhaitabilité de la décroissance. De leur côté, le capitalisme néolibéral transhumaniste est hors sol et le conservatisme-nationalisme-néofascisme est hors temps. L’un ne peut s’inscrire dans le réel, même futur, l’autre ne peut s’inscrire dans le présent, car il reste dans un passé révolu.

[...]

 

Jason W Moore : l'écologie-monde du capitalisme

Source : https://www.terrestres.org/2024/05/15/jason-w-moore-cosmologie-revolutionnaire-et-communisme-de-la-vie/



Extraits

[...]

Le capitalisme est 

  • un système économique
  • fondé sur la production de marchandises pour le profit, 
  • par l’intermédiaire de l’exploitation du travail salarié 
  • mais aussi par l’appropriation gratuite du travail et des énergies déployées par toutes les forces naturelles pour reproduire les conditions de la vie. 

[...]

La stimulation et l’appropriation du tissu de la vie, la captation du travail des faiseurs de monde humains et extrahumains est la condition fondamentale du capitalisme. Cette thèse ontologique sur le devenir écologique du capital a pour corollaire une thèse historique sur l’émergence du dualisme nature-société et une thèse épistémologique sur la manière d’en faire le récit.

[...] 

Repenser le capitalisme dans la nature et la nature dans le capitalisme, c’est l’idée principale du concept moorien de « double internalité ». 

[...] 

L’histoire écologique du capitalisme et l’histoire capitaliste de la nature constituent ce que Moore appelle la « double internalité ».
Le capital émerge à partir de réalités bio-géo-physiques (des corps humains, des énergies fossiles, de l’eau, du vent, etc.) et la nature elle-même semble intériorisée par le capitalisme.

[...]

Pour penser l’unité commune de cette double internalité, Moore forge le concept d’oikeios, qui désigne un ensemble de flux et d’écosystèmes à partir desquels et au travers desquels les pratiques humaines se déploient. L’oikeios, c’est la totalité englobante du capitalisme et du tissu de la vie, des tendances écocidaires du capital et de l’habitabilité des faiseurs de monde humains et extrahumains.

[...]

Une pensée dialectique suppose précisément que les entités distinctes de la nature et de la société soient posées, dans leur différence, par la relation qui les unit. À cet égard, l’unité apparaît comme le résultat d’une relation processuelle qui fabrique de la différenciation.

La domestication en serait un bon exemple. Il s’agit d’une relation qui fabrique de la différenciation entre la nature domestiquée et la nature « domestiquante » et qui, par cette relation différenciante, constitue un type d’unité hiérarchisée entre les vivants humains et autres qu’humains.

[...]

La mondialité de la catastrophe écologique n’apparaissait plus comme l’effet tardif de l’industrialisation de l’économie fossile en Europe mais comme la matrice du développement du capitalisme depuis son origine coloniale.

[...]

Moore ne tombe cependant pas dans le piège qui consiste à traiter la production et la circulation des marchandises comme deux sphères économiques distinctes mais cherche au contraire à penser « le procès d’ensemble de la production capitaliste11 ». C’est la raison pour laquelle il adopte une perspective relationnelle sur l’espace social. Les lieux ne sont pas des points discontinus dans un espace vide et homogène mais doivent au contraire être pensés à partir des relations qui les constituent. Selon lui, l’espace est le produit d’un ensemble de rapports entre les humains et la nature et médié par des techniques d’appropriation et d’usage12

[...]

Moore élabore le concept de « frontière marchande » (commodity frontier), qu’il reprendra dans la plupart de ses travaux ultérieurs13. À la différence du concept de border, celui de frontier n’indique pas une limite absolue, une séparation linéaire matérialisée par la représentation d’un trait sur la carte ; il désigne plutôt une zone, un espace de conquête à la limite du territoire souverain de la nation

[...]

Comme l’écrit Moore, « un volume relativement faible de capital, soutenu par une puissance territoriale [coloniale], permet de s’approprier un grand nombre de dons de la nature15 ». Le trait fondamental de l’économie coloniale de la frontière marchande est donc sa capacité à « maximiser la productivité du travail par l’appropriation [gratuite] des natures biophysiques et humaines16 ». Elle réoriente toute l’écologie d’une région pour la mettre au service de la production de marchandises pour le profit. Ce faisant, l’exploitation raciste d’une force esclave noire, la destruction des écosystèmes par la monoculture intensive et l’accumulation de capital fonctionnent ensemble comme matrice de l’écologie-monde moderne.

[...]

Pour le dire plus simplement, ce n’est pas l’Anthropos, l’humanité en tant qu’espèce, qui est responsable du désastre environnemental mais le capitalisme en tant que système d’appropriation généralisée du travail et des forces de la nature qui repose sur la propriété privée des moyens de vivre par la classe capitaliste.

[...]


[...]

Les causes de la catastrophe écologique s’enracinent dans l’histoire globale du capitalisme. Voilà une thèse en apparence consensuelle mais qui engage en réalité une controverse avec deux positions dominantes dans l’écologie politique contemporaine. La première, qu’on qualifierait volontiers de « latourienne », refuse le concept de « capitalisme » au motif que la réalité qu’il désigne serait introuvable. En apôtres pragmatistes de Kant, les saint Thomas « capitalosceptiques » affirment à qui veut l’entendre que n’existe que ce dont on peut faire l’expérience, et que personne n’a jamais fait l’expérience d’une totalité. Ce à quoi Jason Moore répondrait que la vie moderne est une expérience historique mondiale : l’expérience des esclaves noirs dans les plantations ou des ouvrier·es blanc·hes d’Europe dérive de relations à une nature transformée par la révolution scientifique, d’une division internationale du travail, de flux de marchandises et de capitaux, de la mise en place d’un système raciale, d’une discipline du travail, de politiques impériales, bref d’un système-monde ou d’une écologie-monde qui ne se limite certainement pas à ce que la description de faits atomisés peut offrir.

[...]

Les manières de s’approprier ou de transformer l’environnement changent les rapports sociaux. S’il faut repenser le capitalisme à partir de son histoire écologique, encore faut-il être prêt à repenser la nature à partir de son histoire sociale.

[...]

Il avance que l’idée d’une nature inerte, objective, extérieure aux sociétés humaines correspond à une construction qui se répand à partir d’un ensemble de pratiques de quantification et de mesure. Cette nature extérieure, quantifiable et appropriable, il l’appelle « nature sociale abstraite ».

[...]

La nature sociale abstraite désigne donc à la fois l’ensemble des dispositifs techniques permettant la mise en équivalence généralisée des biens naturels (de la cartographie à l’établissement d’unités de poids et de mesures) et le résultat symbolique de cette marchandisation.

[...]

Suivant une thèse déjà défendue en histoire environnementale, notamment par William Cronon, les natures sont donc multiples et historiques. Pourtant, cette thèse se développe parfois dans une confusion entre des propositions ontologiques différentes et qui gagneraient à être distinguées.

[...]

Selon Moore, l’accumulation du capital ne peut fonctionner que selon une double logique de « capitalisation de la production » et d’« appropriation de la reproduction ». La capitalisation suppose l’exploitation capitaliste du travail humain, seul producteur de survaleur, et la marchandisation des forces naturelles. L’appropriation désigne au contraire une manière d’accumuler des conditions de reproduction nécessaires à la valorisation sans rémunération ou sans paiement du travail/de l’énergie fournis par la nature, humaine et non humaine.

[...]

La notion de Nature bon marché désigne l’ensemble des forces naturelles et des stocks de ressources qui peut être approprié à des coûts suffisamment bas pour favoriser l’accumulation du capital. La principale contradiction écologique du capitalisme provient du fait qu’il a besoin de Natures bon marché mais qu’il épuise en même temps la possibilité de les reproduire26. Ou bien les natures historiques sont détruites, annihilées par la logique extractiviste du capital, comme dans le cas d’écosystèmes effondrés (les îles de Madère constituent l’un des premiers exemples historiques, désormais nombreux, d’un tel effondrement colonial), ou bien la nature continue à fournir du travail/de l’énergie mais à un coût qui ne permet plus l’accumulation de valeur.

[...]

Dans Comment notre monde est devenu cheap, paru en français en 2018, Jason W. Moore et Raj Patel recensaient désormais « sept choses cheap » : la nature, l’argent, le travail, le soin, la nourriture, l’énergie et les vies humaines.

[...]

Pour le capital, la nature est l’ensemble des réalités qui, n’ayant pas de valeur, sont disponibles pour l’appropriation.

[...]

« Wall Street est une manière d’organiser la nature27. » Cette formule provocatrice résume la thèse la plus originale de Moore dans l’écologie politique contemporaine. Elle signifie qu’un mode de production, une société technique ou une civilisation matérielle émergent toujours à partir du tissu de leurs relations avec des natures historiques.

[...]

En d’autres termes, le capitalisme n’a pas une écologie, il est une écologie, un ensemble de processus, de flux de matières et d’énergies ayant sa place au sein d’une totalité entropique, le tissu de la vie, l’oikeios. L’écologie-monde du capital réoriente en permanence les flux de matière et d’énergie au service de l’accumulation de valeur, elle façonne des environnements et des milieux autant qu’elle les annihile. Le capital n’est pas qu’un destructeur de monde, il est aussi un faiseur de mondes appauvris et de travailleurs·ses aliéné·es.

[...]

La perspective stratégique la plus adéquate à la pensée de Moore est peut-être à chercher du côté de l’opéraïsme écologique de Léna Balaud et Antoine Chopot : si l’accumulation du capital suppose la mise au travail de toutes les forces naturelles, la stratégie qui s’impose est celle du refus du travail. La grève écologique des forces productives du capital serait la tactique essentielle du communisme de la vie.

 



Gunther Anders et Jacques Ellul

 

Source : https://www.youtube.com/watch?v=xfjBXOIA1Hw





samedi 15 juin 2024

La fin du monde a déjà eu lieu. Mais seule la fin du monde est arrivée ; pas la possibilité, fût-elle infime, d’en fonder un nouveau.

Source : https://mrmondialisation.org/fin-du-monde-deja-eu-lieu/

Léonor Franc : « La fin du monde a déjà eu lieu »


Léonor Franc, professeur de philosophie et écrivain habitué de nos pages, s’est lancé dans un nouvel exercice d’écriture : celui d’ajouter au flot d’alertes écologiques (éco, sign. oikos-maison et logis, sign. logos-discours), ses propres mots ; tentatives ultimes d’éveiller les dernières consciences sur le sort qui, surtout, ne nous attend pas, mais nous touche dores et déjà. Après la fin de la démocratie, voici la fin du monde. Edito.

Certes les montagnes et les océans demeurent… Mais qu’est-ce qu’un monde ? Pour qu’il y ait monde, il faut « faire monde ». Il faut assembler des morceaux, unifier du divers, donner un sens. La nature seule n’est pas un monde : elle est sans bornes ni centre, sans « théorie du tout » pour les physiciens, objet d’équations efficaces mais dénuées de pourquoi.

La nature n’est pas chaotique non plus : elle est, tout simplement. Ce sont aux êtres capables de penser le sens des choses qu’incombe la tâche de faire monde – aux humains, donc, ou du moins aux êtres conscients. Or les humains modernes font-ils encore monde ? Pour Hannah Arendt, la réponse est largement négative.

Hannah Arendt @Av Ryohei Noda.

Le consumérisme a détruit le monde

Le consumérisme a détruit le monde. L’objet de consommation étant par définition éphémère, il ne permet pas de stabiliser un sens, de façonner un monde où l’orientation des humains est possible. Un monde où tout devient consommable n’est plus un monde. Seuls les objets qui ont une « permanence », écrit Arendt, permettent « d’édifier un monde » (1).

Notre monde a disparu car, comme il est connu, nous sommes désormais entourés d’objets dont l’obsolescence est programmée. La machine à laver est programmée pour dysfonctionner au bout de quelques années, composée de pièces voulues non réparables. Un téléphone ou un ordinateur sont programmés pour bientôt buguer, ne plus être capables d’installer d’importantes mises à jour, ou tout simplement devenir inefficaces par rapport à la puissance de nouveaux appareils. Les relations sociales deviennent elles-mêmes jetables : leur stabilité n’est plus désirée, elle est soit évitée soit imposée.

Les sociologues comme Eva Illouz parlent d’une crise de l’engagement dans les couples. Zygmunt Bauman, de son côté, décrit tous les liens sociaux comme devenant liquides. Tout doit être flexible – c’est-à-dire indéterminé. Le sérieux doit prendre la forme de l’ironie pour ne pas courir le risque de fonder quoi que ce soit. En effet, pour l’humain moderne, fonder, c’est stagner. Aujourd’hui, un rocher acheminé, au terme d’un long effort, jusque dans la rivière d’Héraclite, véritable exploit dans un monde où « tout passe », serait honni. Il serait considéré, non pas comme un début de construction défiant le passage du temps, mais comme ce qui entrave, ce qui bouche, ce qui gêne.

La prédominance du travail a détruit le monde

@Unsplash

La prédominance du travail a détruit le monde. Le travail construit de l’utile. L’utile est quelque chose dont on se sert. S’en servir, c’est l’user, le consommer, le faire disparaître peu à peu. Alors que le travail était considéré comme un fardeau pendant des millénaires, souvent réservé aux esclaves, aux exclus du monde, notre société lui a accordé une valeur de plus en plus importante, exaltant par là des forces de disparition du monde.

« Le temps des vacances, étymologiquement le temps du vide, doit lui aussi être gagné, rentabilisé, programmé, donc travaillé »

Même le jour (ou deux) de repos hebdomadaire ne peut, pour l’humain moderne, que constituer des occasions de régénérer sa force de travail. Ce temps prétendument libre est donc encore établi dans l’horizon de la survie. Le temps des vacances, étymologiquement le temps du vide, doit lui aussi être gagné, rentabilisé, programmé, donc travaillé. Malheur à celui qui, pendant les vacances, « perd son temps » (2). Tout doit être consommé, tout doit disparaître, même le vide.

Bien évidemment, le labeur est nécessaire pour la survie. Mais, précisément, l’instinct de survie ne suffit pas pour faire monde. Il suit le cours naturel et incessant des choses, ne propose pas de sens, fait revenir l’humain au simple impératif d’être. Ici encore, laissons la parole à Arendt :

- Pour une information libre ! -

« Tout ce que produit le travail est fait pour être absorbé presque immédiatement dans le processus vital, et cette consommation, régénérant le processus vital, produit – ou plutôt reproduit – une nouvelle « force de travail » nécessaire à l’entretien du corps. (…) La « nécessité de subsister » régit à la fois le travail et la consommation (…). Ce sont deux processus dévorants qui saisissent et détruisent de la matière, et l’ »ouvrage » qu’accomplit le travail sur son matériau n’est que la préparation de son éventuelle destruction. » (3)

L’isolement du travailleur a détruit le monde

L’isolement du travailleur a détruit le monde. Le travail moderne aurait pu contribuer à faire monde s’il avait apporté du liant social, créé du commun. Mais il a plutôt agrégé les êtres humains en une « masse indifférenciée où chacun se trouve écrasé contre l’autre » (4). Subissant les forces débridées du marché capitaliste, les individus sont presque tous contraints de travailler pour leur survie (qu’il s’agisse de survie biologique, économique ou sociale), survie qui rend leur existence précaire, dénuée là encore de fondations.

Réduits au même statut, les travailleurs pourraient au moins trouver dans cette égalité un motif de solidarité, et ainsi commencer à former un monde. Mais même cela n’est plus possible. L’entreprise se charge de faire oublier cette envie en donnant aux travailleurs une illusion de lien social grâce à une table de ping-pong installée près de la machine à café et les conseils des « happiness managers ». Même si les travailleurs n’étaient pas dupes de cette supercherie, de cette lubrification sociale forcée et encore destinée à l’augmentation de la productivité générale, ils ne pourraient toujours pas construire un monde.

Pour cela, il leur faudrait créer du commun, or, au-delà des portes de leur domicile, de leur syndicat ou de leur entreprise, qu’y a-t-il ? Les concurrents, les autres survivants. Au mieux, aujourd’hui, dans un système qui est moins celui du désir que du besoin, une association (ou plutôt une coïncidence d’intérêts) tiendra le temps de quelques manifestations, puis il faudra bien que chacun revienne à sa survie. Pour qu’il y ait une véritable association, il faudrait quelque chose d’imprévu, à savoir un acte de foi, une confiance, un pari à l’égard de l’autre. La logique du travail serait alors dépassée.

En effet, en passant à la solidarité ou à la citoyenneté, on sortirait du simple travail.

Les réseaux sociaux virtuels ont détruit le monde

Les réseaux sociaux virtuels ont détruit le monde. Ces réseaux, de plus en plus utilisés, ne proposent qu’un succédané de monde car, encore une fois, ils ne créent pas du commun mais plutôt juxtaposent des trajectoires individuelles. Nous l’écrivions ailleurs (5) : les réseaux sociaux ne font que mettre côte à côte des bulles de pensée avides de confirmation de leurs opinions. A l’origine de cela, la marchandisation de ces réseaux dont les profits reposent sur le principe de personnalisation des informations, tel qu’exposé dans le documentaire The Social Dilemma.

@superdirk/ Pixabay

« Voir un ensemble personnalisé d’informations, préparé sur mesure, est précisément l’inverse de la rencontre d’autrui dans un espace public »

Voir un ensemble personnalisé d’informations, préparé sur mesure, est précisément l’inverse de la rencontre d’autrui dans un espace public. Ainsi, des réseaux comme Facebook, YouTube ou Twitter ne forment pas un espace public, cet espace où il est souvent impossible d’éviter la conversation. Dans un échange de commentaires sur YouTube par exemple, que se passe-t-il ?

Premièrement, l’interlocuteur peut partir à tout moment, en un clic – il n’y a aucune obligation d’écoute. Deuxièmement, il peut supprimer son commentaire, ne laissant par là aucune trace – YouTube, à proprement parler, n’a pas d’histoire. Troisièmement, entre le moment où l’utilisateur s’exprime et le moment où il reçoit une réponse, il y a un délai – autrement dit, il obtiendra sa réponse quand il aura le dos tourné, quand il sera seul. Les messages échangés sont davantage des actions isolées, à distance, qu’une interaction. Quatrièmement, la vidéo qu’il commente lui est suggérée sur la base d’un algorithme qui sélectionne ce à quoi il aime déjà réagir. Ces réseaux sont donc totalement étrangers à l’agora grecque, la place publique fondatrice d’un monde.

Le commun y fait tant défaut que les faits les plus basiques, donc normalement les plus partagés, y sont niés, transformés, tronqués, au profit de « faits alternatifs » court-circuitant toute tentative de fédération rationnelle et stable.

La professionnalisation de la politique a détruit le monde

Rafael Mariano Grossi, directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et Emmanuel Macron, Président français. Elysée, 2022 @Office of the President,/Flickr

La professionnalisation de la politique a détruit le monde. La vie de la cité, monde commun par excellence, a été dévoyée en étant confiée à des politiciens de métier. Ce qui était censé être le plus éminemment public est désormais privatisé (donc aboli) par quelques individualités dénuées de fonction réellement représentative (n’organisant presque jamais de référendums, ne reconnaissant pas le vote blanc, usant du 49.3 et de pseudo consultations citoyennes…), sans légitimité (cédant aux pressions des lobbys et aux « jeux » égocentriques de pouvoir), voire même sans légalité (interdisant illégalement des manifestations pacifiques…).

Le sens du commun s’est tellement éclipsé que la plupart des Français veulent désormais entreprendre la destruction des ruines de leur monde, en jugeant que la politique n’est pas assez privatisée. Se débarrassant de leur mission de citoyen jusqu’à la lie, 59% d’entre eux souhaiteraient que la direction de leur pays revienne à des « experts non élus » (Ifop, 2018). Pour les 18-24 ans, ce taux monte à 70%. La plus sombre des perspectives envisagées par Erich Fromm (6) se concrétise. Les individus, exploités et méprisés par l’empire financier qui les dépasse, finissent par ne plus croire en leur propre force et se considèrent alors de nouveau comme des enfants à guider.

Pour soulager un sentiment d’impuissance et d’insécurité, ils « sont prêts à se soumettre aux nouvelles autorités qui s’offrent à eux et les soulagent du doute ».

La fin du monde a déjà eu lieu. La nouvelle n’est pas très répandue. Ce fait même participe de la fin du monde. Pendant ce temps, des théoriciens essayent de savoir quand et comment le monde pourrait « s’effondrer ». Mais ces théories de l’effondrement, ces collapsologies ne parlent généralement pas de fin du monde. Elles abordent quelque chose de pire encore : la fin de toute possibilité de faire un monde, la fin de tout matériau disponible pour construire quoi que ce soit, tout étant devenu cendres et guerres. Pour l’instant, seule la fin du monde est arrivée ; pas la possibilité, fût-elle infime, d’en fonder un nouveau.

– Léonor Franc



Sources :

(1) Arendt, Condition de l’homme moderne, trad. fr. G. Fradier, Paris, Presses Pocket Agora, p. 151.

(2) Baudrillard, La société de consommation, Denoël, Paris, 1970, p. 244.

(3)  Ibid., p. 145.

(4) Idaline Droz-Vincent, « L’idée de monde chez Hannah Arendt », in Philopsis, revue numérique, 2016, https://philopsis.fr/

(5) « Pourquoi nous faisons semblant de vivre en démocratie », in MrMondialisation, 2023.

(6)  E. Fromm, La peur de la liberté (1941), Paris, Les Belles Lettres, 2021, p. 183.

Image d’entête @KELLEPICS/Pixabay