Quelque peu ignorée par le monde politique et l’ensemble des médias occidentaux, la « décroissance » fait partie de ces nouveaux projets politiques alternatifs portés par la société civile. Ses partisans préconisent l’adoption d’un nouveau mode de vie basée sur la « simplicité volontaire ». Pour tenter d’en savoir un peu plus, Lemagazine.info a rencontré Paul Ariès, politologue et rédacteur pour le journal La Décroissance.
Lemagazine.info : Comment définissez vous la décroissance ?
Paul Ariès : La décroissance n’est pas plus un concept scientifique que le développement durable. Il s’agit d’un mot-obus qui permet de pulvériser l’idéologie dominante et de décoloniser notre imaginaire. On peut en attendre à la fois le sens de l’urgence au regard de la situation environnementale et sociale mais également la possibilité de rouvrir le champ des possibles pour inventer des alternatives.
Lemagazine.info : Quelle est l’histoire de la décroissance ? Autrement dit, comment et pourquoi est-elle née ?
Paul Ariès : La décroissance est née de la faillite de quatre modèles : celui du capitalisme, celui du socialisme réellement existant, celui de la social-démocratie et celui d’une certaine écologie politique incapable de lier la question sociale et environnementale. La décroissance interfère avec des questions déjà croisées dans la très longue histoire : la pauvreté évangélique, le droit à la paresse, le vivre et travailler au pays, l’éloge de la lenteur. Elle tente aussi de penser l’articulation entre plusieurs grandes crises. La crise environnementale avec l’épuisement des ressources et le réchauffement planétaire, la crise sociale avec l’explosion des inégalités et la casse des identités collectives, la crise politique avec la disparition des grands idéaux et les tentations populistes, la crise de la personne humaine avec d’un côté l’explosion de la boulimie comme symptôme d’une société qui fonctionne à la dévoration du monde et d’un autre côté l’explosion des pathologies mentales.
Lemagazine.info : Comment expliquez-vous les dérives de la société moderne ?
Paul Ariès : Notre société a totalement sombré dans la démesure : nous avons perdu la capacité à nous donner des limites. Un individu incapable de se donner des limites va nécessairement les chercher dans le réel (conduites à risque, toxicomanies, suicides des plus faibles notamment les jeunes et les vieux). Une société incapable de se donner des limites va aussi les chercher dans le réel (épuisement des ressources, réchauffement planétaire, explosion des inégalités sociales). La grande question pour le XXIe siècle est bien de renouer avec la capacité à se donner des limites. Ce qui suppose d’en finir avec la dictature de l’économie et de faire valoir la culture et la politique.
Lemagazine.info : Quels sont les collectifs et les structures qui soutiennent la décroissance ? Et quels sont vos moyens d’action ?
Paul Ariès : La décroissance n’appartient à personne. Elle peut déboucher sur le meilleur comme sur le pire. Le meilleur c’est la capacité à lier la question sociale et environnementale : on ne fera pas la révolution de la décroissance contre la majorité des idées ni par des mesures autoritaires. Le pire serait d’instrumentaliser la décroissance pour recycler des idées réactionnaires. La décroissance n’est surtout pas la grenouille qui voudrait devenir aussi grosse que le boeuf. Notre objectif est de poser des questions, de mettre les pieds dans le plat, de montrer là où il faut creuser. Ces questions seront reprises ensuite par les forces politiques existantes ou par des nouvelles.
Lemagazine.info : Qu’est-ce que la simplicité volontaire ?
Paul Ariès : La simplicité volontaire est l’une des trois formes de résistance. Il s’agit de mettre son mode de vie en conformité avec ses valeurs. Pour certains cela veut dire ne pas avoir de voiture ou travailler à temps partiel. Cela semble aller de soi mais je viens d’une tradition politique où l’on avait tendance à reporter le changement de nos modes de vie au lendemain du grand soir… Et comme ce grand soir ressemblait souvent à des petits matins blêmes, on ne changeait pas grand chose. Le risque serait cependant de jouer à plus décroissant que moi, tu meurs, à se croire les nouveaux parfaits. Cette attitude est dangereuse car elle fait passer d’une posture politique à une posture moraliste. D’où la nécessité d’un deuxième niveau de résistance : celui des expérimentations collectives. Tout ce que l’on peut bricoler dans les marges est positif pour commencer à changer ce monde (coopératives de production, distribution, consommation, les AMAP, la presse alternative, etc.). Cela reste cependant insuffisant car le risque serait d’entériner la dualisation de la société.
Lemagazine.info : Que proposez-vous alors ?
Paul Ariès : Il faut un troisième niveau qui est celui de l’invention d’un nouveau projet politique. Nous avons besoin d’un nouveau paradigme pour redonner du sens et de l’ardeur à nos combats. Je propose d’opposer au capitalisme le passage à une société de la gratuité. Pas de la gratuité de n’importe quoi sous n’importe quelle condition mais de la gratuité du bon usage face au renchérissement voire à l’interdiction du mésusage : Pourquoi payer son eau le même prix pour faire son ménage et remplir sa piscine privée ? Pourquoi payer son énergie le même prix pour une consommation normale et un gaspillage ? Le législateur saura bien mettre en place différents tarifs en fonction des niveaux de consommation et des types d’usage, selon le rapport de force, selon l’état des connaissances. Nous devons opposer au capitalisme quelque chose d’aussi désirable que la société de consommation. Seule la gratuité que nous avons chevillée au corps me semble capable de rendre notre projet désirable.
Anthony Laurent , le 4 juin 2008
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