samedi 19 février 2011

Pourquoi ne se rebelle-t-on pas ? - Hervé Kempf

Source :  Reporterre.net

Pourquoi ne se rebelle-t-on pas ?
Extraits de « L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie »  d’Hervé Kempf  (chapitre 5)

Comment l’apathie populaire s’explique-t-elle ?

L’une des causes en est (…) le conditionnement mental et politique permis par le contrôle des médias
et notamment de la télévision. La jeunesse est la première victime : sa culture vient prioritairement
du petit écran (…) Avoir ingurgité 100 000 messages publicitaire depuis sa naissance ne facilite guère
l’élaboration d’une vision politique du monde (…).

Le prolongement du conditionnement médiatique est le fatalisme, qui est devenu un trait commun
de l’époque. Le TINA – « there is no alternative », il n’y a pas d’alternative – de Margaret Tatcher
s’est durablement incrusté dans les esprits et se décline sous de multiples modes : il n’y a pas d’autre
solution que le capitalisme, puisque le communisme a été vaincu ; nous sommes en démocratie
puisque nous ne sommes pas en dictature ; la croissance est indispensable, sinon le chômage
augmentera encore ; critiquer les inégalités est populiste ; on ne peut pas taxer les hyper-riches,
puisqu’ils s’enfuiraient ailleurs ; tout ce que nous pourrons faire pour l’environnement sera annulé
par le poids de la Chine, etc. Les griots des oligarques babillent en permanence ce discours d’impuissance (…).

Le fatalisme est d’autant plus intense qu’il sourd d’une culture devenue massivement individualiste
(…) : le succès massif, brillant et incontestable du capitalisme depuis 1980 a été de généraliser à un
point jamais vu le repli sur soi, le déni du collectif, le mépris de la coopération, la concurrence
ostentatoire. Incapable de s’unir dans la protestation, les plus faibles se réfugient dès lors dans
toutes les formes de fuite (…).

L’évidence de l’inégalité planétaire finit par s’imposer au regard de tous, et les habitants des sociétés
occidentales, même grugés par l’oligarchie, se savent des privilégiés, ce qui crée une solidarité
paradoxale avec la classe dirigeante qui profite cyniquement de la fragilité générale (…).

Une autre raison explique que nos concitoyens ne bousculent pas les possesseurs de yachts et les
acheteurs de cigares qui les méprisent si ostensiblement : ils croient que nous sommes en
démocratie. Imparfaite, malade, fatiguée, mais en démocratie. Or, la démocratie, c’est le pouvoir du
peuple, n’est-ce pas ? Comment donc le peuple pourrait-il se révolter contre lui-même ?
Dans la plupart des pays occidentaux, le sentiment démocratique est durablement enraciné dans
l’esprit populaire. Tous veillent à entretenir soigneusement le décor des procédures qui en
constituent le rite et dont l’élection est le solennel dénouement. Le théâtre politique est
indubitablement coloré : on vote fréquemment, les institutions fonctionnement, les politiciens
s’agitent sans repos, le bruissement incessant des informations et des commentaires semble
témoigner de la vitalité de la libre expression. Comment ne pas penser que nous sommes en
démocratie ?  


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