Des monnaies locales pour consommer autrement
Eric Larpin
Alternatives Economiques Poche n° 049 - avril 2011
Alternatives Economiques Poche n° 049 - avril 2011
Même si leur impact économique paraît limité, les monnaies locales interrogent les comportements des consommateurs et le sens qu'ils donnent aux échanges financiers.
Il en existait des centaines sous l'Ancien Régime et encore quelques-unes au milieu du XXe siècle. Depuis une dizaine d'années, les monnaies locales réapparaissent en Europe, en Asie et en Amérique. Avec une pluralité d'objectifs : favoriser une économie et une production régionale, rendre plus visibles des secteurs d'activité (agriculture bio, commerce équitable, coopératives, etc.) et surtout apprendre aux usagers à reconsidérer la monnaie comme un simple outil d'échange.
Les nouvelles monnaies locales, celles qui réussissent, proviennent d'initiatives citoyennes. A Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), l'association écologiste Agir pour le vivant a créé l'an dernier une monnaie locale : l'abeille. Françoise Lenoble, coprésidente de l'association, raconte : " Nous nous sommes rendu compte que l'argent était à la source de nombreux dysfonctionnements : hyperconsommation, surutilisation de la voiture, épuisement des énergies fossiles et, bien sûr, spéculation financière. Plusieurs d'entre nous étaient déjà membres d'un SEL [système d'échange local], mais le troc est plus adapté à des relations ponctuelles. Avec une monnaie, nous avons l'ambition de modifier les circuits de production locaux. "
Une circulation plus rapide que l'euro
A Villeneuve, une centaine d'habitants utilisent déjà l'abeille, dans des transactions avec une cinquantaine d'entreprises et de commerces. Françoise Lenoble estime que les adhérents transforment 80 % de leurs euros en abeilles, le reliquat étant préservé pour payer les charges, électricité ou téléphone. Ils disposent de billets de 1 à 20 abeilles (7 000 billets sont en circulation). Des mécanismes de sécurité ont été mis en place : la compensation en euros est déposée sur un compte auprès de la banque coopérative la NEF ; 2 % des frais de conversion sont versés dans un fonds de garantie et de fonctionnement (pour les frais de fabrication des billets, notamment) et, surtout, 2 % de " fonte " sont prélevés tous les six mois pour éviter la thésaurisation des billets. La fonte est en effet un des principes de base de ces monnaies, qui s'usent si l'on ne s'en sert pas, toujours dans l'idée que la monnaie est un outil d'échange et pas de spéculation.
" On arrive ainsi à faire connaître aux adhérents une autre économie, poursuit Françoise Lenoble, celle d'entreprises qui respectent des critères locaux et environnementaux. Ces commerces utilisent aussi entre eux les abeilles. Ils peuvent les reconvertir auprès de la caisse centrale. Depuis un an, on constate qu'ils attirent de nouveaux clients. "
Pour bâtir son modèle, l'abeille s'est inspirée du plus fameux exemple étranger : le Chiemgauer. Le projet a démarré il y a huit ans dans une petite école de cette région bavaroise, la Chiemgau. Les premiers billets ont été fabriqués par des collégiennes, avant que la monnaie ne prenne de l'ampleur : 600 entreprises, 218 associations bénéficiaires, 3 000 membres. " L'origine du Chiemgauer explique qu'on soit resté très pédagogique, sourit Christophe Levannier, coprésident de l'association. A chaque fois qu'un consommateur utilise le Chiemgauer, le commerçant verse 3 % de la somme à une association ou à une école sélectionnée par l'acheteur. Pour ma part, je soutiens le club de hand-ball de mes enfants. " Les entreprises peuvent les rééchanger contre des euros ou payer directement des fournisseurs avec. Le Chiemgauer circule ainsi trois fois plus vite que l'euro.
Christophe Levannier a fait adhérer sa propre entreprise de biens industriels au système Chiemgauer : " Nous avons un compte classique et un compte en Chiemgauer. Si on ne les utilise pas, tous les trois mois, ils fondent de 2 %. J'ai des clients qui achètent en plus grosses quantités, depuis qu'on accepte les Chiemgauer. " Pour l'association Chiemgauer, l'argent n'est qu'un prétexte à des échanges autres que monétaires : relocalisation de l'économie, lien social différent de ce qui se passe dans les hard-discounts en Allemagne, soutien à des projets communautaires, etc.
Retour aux origines de la monnaie
L'argent redevient ce qu'il est à l'origine : un moyen de paiement. Qu'il soit sous forme de billets ou sous forme électronique. Les deux modes coexistent, comme dans le Chiemgauer ou le Scec en Italie. Cette monnaie sociale est née à Naples en 2008 et a été étendue à douze régions de la Péninsule par l'association Arcipelago (l'association qui porte le projet). Elle cherche à soutenir l'économie solidaire, l'agriculture paysanne et les petits commerces. Elle rassemble déjà 4 500 familles et 2 000 entreprises.
" Le Scec fonctionne comme un coupon d'escompte, explique Guido Gallelli, adhérent romain d'Arcipelago. Chez un commerçant, on paie partie en euros, partie en Scec. Les Scec sont réinjectés dans le circuit par les uns et les autres. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui garantissent le système, en achetant des biens et des services des entreprises affiliées. Le Scec crée de la confiance et de la solidarité. " Il est même prévu qu'une partie des impôts locaux puisse être payée en Scec, les mairies se chargeant de remettre cette monnaie en circulation.
Les dernières générations de monnaies locales s'appuient à la fois sur une prise de conscience citoyenne et sur l'utilisation des nouvelles technologies (cartes électroniques, capitalisation des monnaies sur Internet). Mais point trop n'en faut ! Le succès mitigé (pas assez d'adhérents, particuliers et entreprises, du fait sans doute d'une trop grande complexité) de la monnaie électronique Sol dans plusieurs régions françaises a d'ailleurs incité les créateurs de monnaies locales, comme l'abeille, à revenir à des monnaies manuelles.
" Les monnaies locales, comme les SEL et les banques du temps avant elles, provenant d'initiatives populaires, sont bien un élément de contestation du système actuel, en faisant la promotion d'une autre économie, assure Jérôme Blanc, maître de conférences à Lyon II. Depuis 2008, après la crise financière, les SEL sont passés de 330 à 420. Cette année, une douzaine de monnaies locales devraient voir le jour, comme la luciole en Ardèche ou la mesure à Romans. "
Le chercheur pointe aussi les limites de ces monnaies complémentaires ou communautaires : " Pour les entreprises qui les utilisent, on ne sait pas si le chiffre d'affaires en monnaies sociales s'ajoute ou se substitue au chiffreq d'affaires global, même dans les systèmes les plus importants, comme la banque Wir, un système d'échanges entre PME en Suisse, ou la coopérative RES en Belgique. Leur impact semble limité. Mais leur rôle d'éducation populaire est d'autant plus important. Ces monnaies ne cherchent pas à remplacer les monnaies centrales. Elles y sont adossées et heureusement, car il n'y a pas non plus de garantie de leur pérennité ! "
Paradoxalement, les adhérents des systèmes locaux conservent une confiance dans les monnaies centrales, parce que ces monnaies sont tributaires du nombre d'adhérents : il faut parvenir à une densité régionale pour qu'elles aient un impact. Ces réserves n'empêchent pas toutefois qu'on compte actuellement entre 4 000 et 5 000 monnaies locales dans le monde.
Il en existait des centaines sous l'Ancien Régime et encore quelques-unes au milieu du XXe siècle. Depuis une dizaine d'années, les monnaies locales réapparaissent en Europe, en Asie et en Amérique. Avec une pluralité d'objectifs : favoriser une économie et une production régionale, rendre plus visibles des secteurs d'activité (agriculture bio, commerce équitable, coopératives, etc.) et surtout apprendre aux usagers à reconsidérer la monnaie comme un simple outil d'échange.
Les nouvelles monnaies locales, celles qui réussissent, proviennent d'initiatives citoyennes. A Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), l'association écologiste Agir pour le vivant a créé l'an dernier une monnaie locale : l'abeille. Françoise Lenoble, coprésidente de l'association, raconte : " Nous nous sommes rendu compte que l'argent était à la source de nombreux dysfonctionnements : hyperconsommation, surutilisation de la voiture, épuisement des énergies fossiles et, bien sûr, spéculation financière. Plusieurs d'entre nous étaient déjà membres d'un SEL [système d'échange local], mais le troc est plus adapté à des relations ponctuelles. Avec une monnaie, nous avons l'ambition de modifier les circuits de production locaux. "
Une circulation plus rapide que l'euro
A Villeneuve, une centaine d'habitants utilisent déjà l'abeille, dans des transactions avec une cinquantaine d'entreprises et de commerces. Françoise Lenoble estime que les adhérents transforment 80 % de leurs euros en abeilles, le reliquat étant préservé pour payer les charges, électricité ou téléphone. Ils disposent de billets de 1 à 20 abeilles (7 000 billets sont en circulation). Des mécanismes de sécurité ont été mis en place : la compensation en euros est déposée sur un compte auprès de la banque coopérative la NEF ; 2 % des frais de conversion sont versés dans un fonds de garantie et de fonctionnement (pour les frais de fabrication des billets, notamment) et, surtout, 2 % de " fonte " sont prélevés tous les six mois pour éviter la thésaurisation des billets. La fonte est en effet un des principes de base de ces monnaies, qui s'usent si l'on ne s'en sert pas, toujours dans l'idée que la monnaie est un outil d'échange et pas de spéculation.
" On arrive ainsi à faire connaître aux adhérents une autre économie, poursuit Françoise Lenoble, celle d'entreprises qui respectent des critères locaux et environnementaux. Ces commerces utilisent aussi entre eux les abeilles. Ils peuvent les reconvertir auprès de la caisse centrale. Depuis un an, on constate qu'ils attirent de nouveaux clients. "
Pour bâtir son modèle, l'abeille s'est inspirée du plus fameux exemple étranger : le Chiemgauer. Le projet a démarré il y a huit ans dans une petite école de cette région bavaroise, la Chiemgau. Les premiers billets ont été fabriqués par des collégiennes, avant que la monnaie ne prenne de l'ampleur : 600 entreprises, 218 associations bénéficiaires, 3 000 membres. " L'origine du Chiemgauer explique qu'on soit resté très pédagogique, sourit Christophe Levannier, coprésident de l'association. A chaque fois qu'un consommateur utilise le Chiemgauer, le commerçant verse 3 % de la somme à une association ou à une école sélectionnée par l'acheteur. Pour ma part, je soutiens le club de hand-ball de mes enfants. " Les entreprises peuvent les rééchanger contre des euros ou payer directement des fournisseurs avec. Le Chiemgauer circule ainsi trois fois plus vite que l'euro.
Christophe Levannier a fait adhérer sa propre entreprise de biens industriels au système Chiemgauer : " Nous avons un compte classique et un compte en Chiemgauer. Si on ne les utilise pas, tous les trois mois, ils fondent de 2 %. J'ai des clients qui achètent en plus grosses quantités, depuis qu'on accepte les Chiemgauer. " Pour l'association Chiemgauer, l'argent n'est qu'un prétexte à des échanges autres que monétaires : relocalisation de l'économie, lien social différent de ce qui se passe dans les hard-discounts en Allemagne, soutien à des projets communautaires, etc.
Retour aux origines de la monnaie
L'argent redevient ce qu'il est à l'origine : un moyen de paiement. Qu'il soit sous forme de billets ou sous forme électronique. Les deux modes coexistent, comme dans le Chiemgauer ou le Scec en Italie. Cette monnaie sociale est née à Naples en 2008 et a été étendue à douze régions de la Péninsule par l'association Arcipelago (l'association qui porte le projet). Elle cherche à soutenir l'économie solidaire, l'agriculture paysanne et les petits commerces. Elle rassemble déjà 4 500 familles et 2 000 entreprises.
" Le Scec fonctionne comme un coupon d'escompte, explique Guido Gallelli, adhérent romain d'Arcipelago. Chez un commerçant, on paie partie en euros, partie en Scec. Les Scec sont réinjectés dans le circuit par les uns et les autres. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui garantissent le système, en achetant des biens et des services des entreprises affiliées. Le Scec crée de la confiance et de la solidarité. " Il est même prévu qu'une partie des impôts locaux puisse être payée en Scec, les mairies se chargeant de remettre cette monnaie en circulation.
Les dernières générations de monnaies locales s'appuient à la fois sur une prise de conscience citoyenne et sur l'utilisation des nouvelles technologies (cartes électroniques, capitalisation des monnaies sur Internet). Mais point trop n'en faut ! Le succès mitigé (pas assez d'adhérents, particuliers et entreprises, du fait sans doute d'une trop grande complexité) de la monnaie électronique Sol dans plusieurs régions françaises a d'ailleurs incité les créateurs de monnaies locales, comme l'abeille, à revenir à des monnaies manuelles.
" Les monnaies locales, comme les SEL et les banques du temps avant elles, provenant d'initiatives populaires, sont bien un élément de contestation du système actuel, en faisant la promotion d'une autre économie, assure Jérôme Blanc, maître de conférences à Lyon II. Depuis 2008, après la crise financière, les SEL sont passés de 330 à 420. Cette année, une douzaine de monnaies locales devraient voir le jour, comme la luciole en Ardèche ou la mesure à Romans. "
Le chercheur pointe aussi les limites de ces monnaies complémentaires ou communautaires : " Pour les entreprises qui les utilisent, on ne sait pas si le chiffre d'affaires en monnaies sociales s'ajoute ou se substitue au chiffreq d'affaires global, même dans les systèmes les plus importants, comme la banque Wir, un système d'échanges entre PME en Suisse, ou la coopérative RES en Belgique. Leur impact semble limité. Mais leur rôle d'éducation populaire est d'autant plus important. Ces monnaies ne cherchent pas à remplacer les monnaies centrales. Elles y sont adossées et heureusement, car il n'y a pas non plus de garantie de leur pérennité ! "
Paradoxalement, les adhérents des systèmes locaux conservent une confiance dans les monnaies centrales, parce que ces monnaies sont tributaires du nombre d'adhérents : il faut parvenir à une densité régionale pour qu'elles aient un impact. Ces réserves n'empêchent pas toutefois qu'on compte actuellement entre 4 000 et 5 000 monnaies locales dans le monde.
En savoir plus
Association Agir pour le vivant : http://agirpourlevivant.org
Aises, association internationale pour le soutien aux économies sociétales : www.aises-fr.org
Le site du Chiemgauer (en allemand) : www.chiemgauer.info
Le site d'Arcipelago (en italien) : www.arcipelagoscec.org
La banque WIR : www.wir.ch
Association Agir pour le vivant : http://agirpourlevivant.org
Aises, association internationale pour le soutien aux économies sociétales : www.aises-fr.org
Le site du Chiemgauer (en allemand) : www.chiemgauer.info
Le site d'Arcipelago (en italien) : www.arcipelagoscec.org
La banque WIR : www.wir.ch
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire