Livre "Eloge du mariage, de l’engagement et autres folies"
Source : Livre Eloge du mariage, de l’engagement et
autres foliesde Christiane Singer
Extraits :
- Si seulement tu savais toi-même qui tu es, qui tu héberges
et qui t’habite, ce serait du moins un début. Mais n’est-il pas plus honnête d’en convenir : celui ou
celle que tu prétends être, et dont le nom est pour mémoire sur ta porte et tes
papiers d’identité, n’existe encore que de façon rudimentaire.
[…]
… ce desaxé versatile qui fait régner en toi son ordre
arbitraire voudrait se lier à un autre fou logé à la même enseigne que
lui ?
- La vraie aventure de vie, le défi clair et haut n’est pas de
fuir l’engagement mais de l’oser.
Libre n’est pas celui qui refuse de s’engager.
Libre est sans doute celui qui ayant regardé en face la
nature de l’amour – ses abîmes, ses passages à vide et ses jubilations – sans
illusions, se met en marche, décidé à en vivre coûte que coûte l’odyssée, à
n’en refuser ni les naufrages ni le sacre, prêt à perdre plus qu’il ne croyait
posséder et prêt à gagner pour finir ce qui n’est côté à aucune bourse : la
promesse tenue, l’engagement honoré dans la traversée sans feintes d’une vie
d’homme.
- Le non-engagement ne fait problème que lorsque son temps est
passé, outrepassé – et que nous croyons devoir le prolonger sans remarquer que
ce que nous prolongeons là n’est déjà plus vivant.
- La liberté vit de la puissance des limites. Elle est ce jeu
ardent, cette immense respiration à l’intérieur des limites.
- La communication ne se joue pas dans l’adresse des
moulinets, des parades et des voltes, dans le brio de l’escrimeur. Elle se joue
entière dans les entrailles.
- Car seule la confrontation avec mes blessures, seule
l’effraction des placards – dans une souffrance qui somme toute n’est pas pire
que celle que j’endure à enfouir et à nier ! – sont en mesure de me
délivrer.
- Le mariage n’est rien d’autre que la quête en chacun de sa
vérité. Il fait expérimenter la relation réelle, vivante, celle qui n’esquive
rien.
- Entrer au service de la vie est un devoir d’honneur.
Mais qui a songé à le dire ? A dire aux époux qu’ils
partent sans ticket de retour pour une odyssée et que le voyage va aussi les
mener à travers des forêts sombres, des steppes désertiques ? et qu’ils
vont connaître la lassitude, la sensation de se devenir étrangers l’un à
l’autre et à soi-même ? qu’ils traverseront des contrées dont la langue
leur sera inconnue et où tout ce qu’ils auront appris ne servira de rien ?
et qu’il y aura des moments peut être où ils seront plus seuls – ensemble – que
seul, par une nuit d’orage, au bout d’une digue battue par les vagues ?
Qui a songé à leur dire qu’une seule chose les portera : la fidélité à
leur plus haute espérance – à ce qui leur a été donné de pressentir à l’instant
où ils ont le plus aimé
- Une promenade hier à travers le verger m’éclaire. C’est
l’hiver et tous les arbres fruitiers sont plus semblables à de grands balais de
bruyère, le manche fiché au sol, qu’à ce que nous nommons arbre. Celui qui
céderait à la logique des sens, à l’impulsion d’un robuste réalisme
constaterait que la vie a quitté ces arbres et donnerait l’ordre de les
abattre. Il n’apprendrait jamais que les lois de la nature ont prévu quelque
chose d’invraisemblable connu sous le nom de printemps.
- Cette nuit j’ai rêvé de noces qui dureraient longtemps – et
où chacun apporterait un cadeau singulier : du temps.
- Beaucoup ont cru qu’un bon mariage était la promesse
échangée qu’il ne se passerait plus rien ni pour l’un ni pour l’autre.
- Surtout ne pas bouger, ne pas respirer, ne pas regarder à
droite ni à gauche, et l’effet sera parfait.
- La seule manière que nous ayons d’honorer la vie est d’oser
l’aborder de neuf chaque jour sans la grever de nos attentes – oser l’unicité
du jour neuf !
- Le mariage ne nous veut pas présentables, il nous veut
vivants ! – et il nous fera perdre la face jusqu’à ce que, sous nos
masques, apparaissent nos vrais visages.
- Quand on s’engage dans une sacrée aventure – et dans une
aventure sacrée – l’hypocondrie n’est plus de saison. « Avez-vous peur de
mourir ? » Le risque est total. Simplement. Limpide et total.
- Un beau jour, une question anodine est parvenue à tes
oreilles : serais-tu d’accord pour prendre soin d’un tout petit espace de
ce monde ?
[…]
Derrière le sens du sacrifice s’est embusqué le goût du
pouvoir : tu vas croire devoir tout régenter – là dehors – et tu vas te
mettre au travail.
[…]
Que s’est-il passé ? Car il n’y a pas à douter :
l’intention était bonne au départ. Simplement un terrible malentendu a eu lieu.
C’est la nature de ta tâche qui t’a échappé. L’œuvre qui t’était confiée
n’était pas l’autre, c’était toi. C’était à ton humanité, à ta loyauté que tu
étais invité à travailler, pas à celle de l’autre !
- Ici on aime pour aimer. On sert pour servir. On vit pour
être en vie.
[…]
Tu es convié à aimer et à servir pour que sur terre SOIENT
l’amour et le service.
- De la fidélité, je n’ose rien dire car tout ce que je
pourrais en dire serait faux ou serait juste en son temps. Et ce qu’on
objecterait serait faux et serait vrai : en son temps. Car chaque
situation unique a sa vérité unique.
En fidélité comme en amour, tout a lieu pour la première
fois et une seule fois.
- La première de toutes les fidélités, nous la devons à la
vie qui est en nous. Cette fidélité là, à certains moments cruciaux, peut
ressembler, vue du dehors à une infidélité.Consciemment ou non, n’avons-nous pas fait serment de ne
jamais laisser s’embourber dans l’insignifiance cette vie qui nous a été
transmise par le sacre de la naissance ?Chaque fois que le danger rôde de la perdre en futilités,
en broutilles, chaque fois que l’anesthésie la gagne ou que l’asphyxie la
plombe, comment ne pas réagir ? Comment ne pas courir ouvrir les portes et
les vantaux ?Il y a des « appels » dans l’ordre du quotidien
(un besoin de solitude, un désir de voyage, de repli, de recul, de retraite,
une amitié ardente) qui signalent à l’autre : « tu m’as aimé pour
cette vie qui m’habitait. Elle menace de tarir. Pour la refaire jaillir, je
dois faire ce pas qui peut être t’effraie ; mais je dois le faire par
respect pour moi et pour toi. »Exiger de celui qui parle ainsi qu’il fasse taire cet
appel, c’est mettre en chantier la lente transformation du foyer en maison de
morts.Celui ou celle qui a été appelé à se mettre de quelque
manière en mouvement et qui a été retenu – tant pour de bonnes raisons que par
peur, par convention – ne pardonnera pas dans son for intérieur à celui (celle)
qui d’un seul mot peut être a scellé à son pied un boulet. Il reste. Elle
reste. Mais qui reste au juste ? Et quelle part s’éloigne ou s’éteint en
catimini ? Et si c’était précisement la part vibrante pour laquelle nous
nous sommes aimés ?
- Le jardinier ne peut pas monter la garde contre les mulots,
les taupes, les chenilles.
[…]
Il ne peut que « tenter de mettre toutes les chances du
côté de la plante » et garder vivant avec elle un dialogue.
- Je ne peux pas abolir ton destin, ni t’éviter épreuves et
difficultés, ni enrayer tes échecs, ni provoquer ta réussite, ni entraver tes
rencontres. Impossible de prendre les commandes de ta vie, de m’immiscer entre
toi et ta peau. Je ne peux que t’assurer de ma loyauté – ne jamais laisser
tarir le dialogue entre nous, le raviver de neuf chaque jour. Mieux
encore : je ne peux que respecter l’espace dont tu as besoin pour grandir.
Te mettre à l’abri de ma trop grande sollicitude, de tout envahissement de ces
rhizomes souterrains que sont les discrètes et indiscrètes manipulations de
l’amour.[…]Jamais je ne tisserai pour toi les fils de tes rêves ni
de tes pensées. Et comme tu étais seul à ta naissance, tu seras seul devant ta
mort et seul, mille fois, dans les nuits d’insomnie quand un chien aboie au
loin ou quand une voix que tu es seul à entendre t’appelle.Vouloir me perdre en toi, me jeter en toi, corps et
biens, T’envahir. Te combler. Te faire gardien de mes propriétés ! Il
n’est pire cruauté.Car tu as une vocation, unique, une œuvre à mener à bien.Toi-même.Et pour cela, il te faut tout l’espace qui est en toi.[…]Le cadeau que je peux te faire, c’est de retirer de toi
toute la volonté de transformation que j’y ai mise – par zèle ou par ignorance
– la retirer de toi pour la remettre à sa vraie place : en moi.[…]
Garde tes distances sans faiblir. Il n’est que l’Eros qui
puisse les abolir – pour les faire renaître tout aussitôt.
Garde tes distances. Non par froideur. Garde-les avec
ferveur.
- Ces êtres de dialogue, de partage et de mouvance que nous
sommes, vivent de la magie des rencontres, meurent de leur absence.
- Si l’un des époux ne supporte pas que l’autre vibre, vive et
aime en dehors de sa présence, s’il se met à rêver d’être la seule source de
son bonheur, il peut avoir au moins une certitude : celle de devenir très
vite la seule source de son malheur.
- Impossible d’extirper de la vie de l’autre, comme on le
ferait de tiques dans le pelage d’un chat, les rencontres qui importent pour
lui.
Par un mystère, impossible à élucider, ce sont précisément
toutes les rencontres d’une vie qui nous font peu à peu advenir.
- Dans une indescriptible souffrance, l’époux (l’épouse) a vu
une trahison là où lui (ou elle) n’a fait que traverser une tempête et s’étonne
encore d’être vivant(e). Si la chance veut que l’on ait attendu(e), qu’on ait
pressenti la nature du cataclysme, il se peut alors que pour les deux rescapés,
dans la gratitude et le respect mutuels, commence un amour à la fois fort et
simplifié. Il se peut
- Où est ma mort ? demande un adepte au maître. Sous tes
pieds ; tu es debout sur elle, répond le maître.
Ainsi de la famille. Elle est sous tes pieds. Tu es debout
sur elle.
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