TRIBUNE
On
assiste à l’avènement en Europe, de l’Espagne à la Catalogne, de la
Grèce à la Slovénie et à la Croatie, d’une gauche nouvelle dont la
nouveauté tient non seulement aux idées mais aussi au jeune âge de ses
membres. Cette gauche sera-t-elle aussi une gauche verte et
proposera-t-elle un modèle coopératif alternatif pour l’économie
inspirée des idées de la décroissance ?
Ou, à l’instar de la nouvelle gauche d’Amérique latine, conditionnée par les exigences du capitalisme global, cette nouvelle gauche reproduira-t-elle la logique expansionniste du capitalisme en se bornant à substituer les sociétés multinationales par des sociétés nationales, répartissant un peu mieux les miettes entre la populace ?
Comme contribution à ce débat, n ous présentons ci-après dix propositions, inspirées par la décroissance, que nous avons rédigées pour le contexte espagnol. Néanmoins, moyennant certaines modifications et adaptations, elles sont applicables à d’autres contextes et pertinentes pour les partis de la gauche radicale, ainsi que les formations écologistes partout en Europe.
Audit citoyen de la dette. Une économie ne peut être contrainte de croître pour réparer des dettes accumulées qui ont elles-mêmes contribué à une croissance fictive dans le passé. Il est essentiel non seulement de restructurer mais aussi d’annuler une partie de ces dettes.
Partage du travail. Réduction de la semaine de travail à 32 heures. Ceci devra être agencé de telle sorte que les pertes de salaire résultant de la réduction du temps de travail ne se répercutent que sur la tranche de revenus des 10% les plus riches.
Revenu de base et revenu maximum. Fixation d’un socle de revenu minimum d’entre 400 et 600 euros par mois pour tous les résidents espagnols, disponible sans contraintes ou stipulation. Le revenu maximum d’une personne - revenu du travail aussi bien que du capital - ne peut dépasser une valeur égale à plus de trente fois le revenu de base (12 000-18 000 euros par mois).
Réforme fiscale verte. Mise en œuvre d’un système de comptabilité visant à transformer, à terme, le système fiscal d’un régime essentiellement basé sur le travail à un régime basé sur l’utilisation d’énergie et de ressources.
Arrêter les subventions et les investissements destinés à des activités hautement polluantes en aiguillant les fonds publics libérés vers une production respectueuse de l’environnement.
Pour une société alternative, solidaire. Soutenir au moyen de subventions, d’exonérations fiscales et de législations, le secteur économique coopératif à but non lucratif florissant en Espagne et inclure les réseaux alimentaires alternatifs, les coopératives et les réseaux dédiés aux soins de santé de base, les coopératives s’occupant de logements partagés et d’enseignement, de même que les artistes et autres professionnels.
Optimiser l’utilisation des espaces et immeubles. Arrêter la construction de nouveaux logements et rénover le parc de logement existant tout en facilitant la pleine occupation des logements disponibles avec taxes dissuasives sur les résidences à l’abandon, vides et secondaires.
Réduction de la publicité. Etablissement de critères très restrictifs en matière d’autorisation de la diffusion publicitaire dans les espaces publics, partant de l’exemple de la ville de Grenoble. Mise sur pied de commissions chargées du contrôle quantitatif et qualitatif de la publicité autorisée dans les médias de masse.
Etablissement de limites environnementales. Fixation de plafonds absolus et dégressifs sur le total des émissions de CO2 autorisées pour l’Espagne et la quantité totale des ressources matérielles qu’elle utilise, y compris les émissions et les matériaux intervenant dans les produits importés, qui proviennent souvent des pays du Sud.
Abolition du recours au PIB en tant qu’indicateur de progrès économique. Si le PIB est un indicateur trompeur, nous devrions arrêter de l’utiliser et nous mettre à la recherche de nouveaux indices de prospérité.
Ces propositions sont complémentaires et doivent être mises en œuvre de façon concertée. A titre d’exemple, la fixation de plafonds environnementaux pourrait réduire la croissance et générer de l’emploi, cependant que le partage du travail avec un revenu de base garanti aura pour effet de découpler la création d’emplois et la sécurité sociale de la croissance économique.
La réaffectation des investissements des activités conventionnelles vers des activités vertes et la réforme du système de taxation permettront de garantir l’émergence d’une économie plus respectueuse de l’environnement ; par ailleurs, le fait de cesser d’évaluer l’économie en termes de PIB et de recourir aux indices de prospérité assurera que cette transition soit comptée comme un succès plutôt qu’un échec. Enfin, la réforme de la taxation et la réglementation publicitaire contribueront à un relâchement de la concurrence positionnelle et réduiront le sentiment de frustration que peut engendrer l’absence de croissance. L’investissement dans les biens publics et les infrastructures partagées contribuera à accroître la prospérité sans croissance.
Nous ne nous attendons pas à voir les partis de gauche faire de la décroissance leur «bannière». Nous comprenons la difficulté que peut supposer le fait de devoir confronter, soudain, un bon sens profondément ancré. Mais nous attendons, néanmoins, de la part des partis de gauche qu’ils prennent des pas dans la bonne direction et mettent en œuvre de bonnes politiques, telles que celles que nous proposons, et ce, indépendamment de leur incidence sur la croissance. Pas facile, certes, mais depuis quand une gauche qui se veut radicale opte-t-elle pour des solutions de facilité.
Traduit par Salman Yunus.
Giorgos Kallis est coéditeur et coauteur avec Giacomo D’Alisa et Federico Demaria de : «Décroissance. Vocabulaire pour une ère nouvelle» (disponible en anglais, prochainement une version française aux éditions le Passager clandestin).
Ou, à l’instar de la nouvelle gauche d’Amérique latine, conditionnée par les exigences du capitalisme global, cette nouvelle gauche reproduira-t-elle la logique expansionniste du capitalisme en se bornant à substituer les sociétés multinationales par des sociétés nationales, répartissant un peu mieux les miettes entre la populace ?
Comme contribution à ce débat, n ous présentons ci-après dix propositions, inspirées par la décroissance, que nous avons rédigées pour le contexte espagnol. Néanmoins, moyennant certaines modifications et adaptations, elles sont applicables à d’autres contextes et pertinentes pour les partis de la gauche radicale, ainsi que les formations écologistes partout en Europe.
Audit citoyen de la dette. Une économie ne peut être contrainte de croître pour réparer des dettes accumulées qui ont elles-mêmes contribué à une croissance fictive dans le passé. Il est essentiel non seulement de restructurer mais aussi d’annuler une partie de ces dettes.
Partage du travail. Réduction de la semaine de travail à 32 heures. Ceci devra être agencé de telle sorte que les pertes de salaire résultant de la réduction du temps de travail ne se répercutent que sur la tranche de revenus des 10% les plus riches.
Revenu de base et revenu maximum. Fixation d’un socle de revenu minimum d’entre 400 et 600 euros par mois pour tous les résidents espagnols, disponible sans contraintes ou stipulation. Le revenu maximum d’une personne - revenu du travail aussi bien que du capital - ne peut dépasser une valeur égale à plus de trente fois le revenu de base (12 000-18 000 euros par mois).
Réforme fiscale verte. Mise en œuvre d’un système de comptabilité visant à transformer, à terme, le système fiscal d’un régime essentiellement basé sur le travail à un régime basé sur l’utilisation d’énergie et de ressources.
Arrêter les subventions et les investissements destinés à des activités hautement polluantes en aiguillant les fonds publics libérés vers une production respectueuse de l’environnement.
Pour une société alternative, solidaire. Soutenir au moyen de subventions, d’exonérations fiscales et de législations, le secteur économique coopératif à but non lucratif florissant en Espagne et inclure les réseaux alimentaires alternatifs, les coopératives et les réseaux dédiés aux soins de santé de base, les coopératives s’occupant de logements partagés et d’enseignement, de même que les artistes et autres professionnels.
Optimiser l’utilisation des espaces et immeubles. Arrêter la construction de nouveaux logements et rénover le parc de logement existant tout en facilitant la pleine occupation des logements disponibles avec taxes dissuasives sur les résidences à l’abandon, vides et secondaires.
Réduction de la publicité. Etablissement de critères très restrictifs en matière d’autorisation de la diffusion publicitaire dans les espaces publics, partant de l’exemple de la ville de Grenoble. Mise sur pied de commissions chargées du contrôle quantitatif et qualitatif de la publicité autorisée dans les médias de masse.
Etablissement de limites environnementales. Fixation de plafonds absolus et dégressifs sur le total des émissions de CO2 autorisées pour l’Espagne et la quantité totale des ressources matérielles qu’elle utilise, y compris les émissions et les matériaux intervenant dans les produits importés, qui proviennent souvent des pays du Sud.
Abolition du recours au PIB en tant qu’indicateur de progrès économique. Si le PIB est un indicateur trompeur, nous devrions arrêter de l’utiliser et nous mettre à la recherche de nouveaux indices de prospérité.
Ces propositions sont complémentaires et doivent être mises en œuvre de façon concertée. A titre d’exemple, la fixation de plafonds environnementaux pourrait réduire la croissance et générer de l’emploi, cependant que le partage du travail avec un revenu de base garanti aura pour effet de découpler la création d’emplois et la sécurité sociale de la croissance économique.
La réaffectation des investissements des activités conventionnelles vers des activités vertes et la réforme du système de taxation permettront de garantir l’émergence d’une économie plus respectueuse de l’environnement ; par ailleurs, le fait de cesser d’évaluer l’économie en termes de PIB et de recourir aux indices de prospérité assurera que cette transition soit comptée comme un succès plutôt qu’un échec. Enfin, la réforme de la taxation et la réglementation publicitaire contribueront à un relâchement de la concurrence positionnelle et réduiront le sentiment de frustration que peut engendrer l’absence de croissance. L’investissement dans les biens publics et les infrastructures partagées contribuera à accroître la prospérité sans croissance.
Nous ne nous attendons pas à voir les partis de gauche faire de la décroissance leur «bannière». Nous comprenons la difficulté que peut supposer le fait de devoir confronter, soudain, un bon sens profondément ancré. Mais nous attendons, néanmoins, de la part des partis de gauche qu’ils prennent des pas dans la bonne direction et mettent en œuvre de bonnes politiques, telles que celles que nous proposons, et ce, indépendamment de leur incidence sur la croissance. Pas facile, certes, mais depuis quand une gauche qui se veut radicale opte-t-elle pour des solutions de facilité.
Traduit par Salman Yunus.
Giorgos Kallis est coéditeur et coauteur avec Giacomo D’Alisa et Federico Demaria de : «Décroissance. Vocabulaire pour une ère nouvelle» (disponible en anglais, prochainement une version française aux éditions le Passager clandestin).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire