Source :
http://lautrequotidien.fr/aujourdhui/2017/3/30/la-troisime-rvolution-par-fred-vargas
Ça y est, nous y sommes...
Nous avons chanté, dansé.
Quand je dis « nous », entendons un quart de l’humanité tandis
que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté
nos pesticides à l’eau, nos fumées dans l’air, nous avons
conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons
mangé des fraises du bout du monde, nous avons voyagé en tous
sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des
tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous
avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones,
franchement on peut dire qu’on s’est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très
difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des
bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le
Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire
péter l’atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol,
ni vu ni connu.
Franchement on s’est marrés. Franchement on a bien
profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu’il
est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis
lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes. Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la
Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour
mémoire) qu’on ne l’a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? »
demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui. On n’a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne
nous a pas demandé notre avis.
C’est la mère Nature qui l’a décidé, après nous avoir
aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les
robinets. De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l’exception des fourmis
et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et
d’ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu’on n’a pas le
choix, on s’exécute illico et, même, si on a le temps, on
s’excuse, affolés et honteux.
D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de
s’amuser encore avec la croissance. Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l’humanité n’en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l’eau, décrasser la terre,
abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours
blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir
l’avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas
sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin,
relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est,
- attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon
tranquille -
récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le
phosphore, on n’en a plus, on a tout pris dans les mines, on
s’est quand même bien marrés).
S’efforcer. Réfléchir, même. Et, sans vouloir offenser
avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l’Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d’échappatoire, allons-y.
Encore qu’il faut noter que récupérer du crottin, et tous
ceux qui l’ont fait le savent, est une activité foncièrement
satisfaisante.
Qui n’empêche en rien de danser le soir venu, ce n’est
pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous
contenions le retour de la barbarie –une autre des grandes
spécialités de l’homme, sa plus aboutie peut-être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution. A ce
prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons
encore.
Fred Vargas
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