mardi 16 novembre 2021

Présentisme

 Source : Michel Lepesant - https://decroissances.ouvaton.org/


 

Le présentisme

Il y a quelques années, Jérôme Baschet nous proposait de Défaire la tyrannie du présent. Sous le nom de "présentisme", il signalait qu'aujourd'hui l'échelle courte du temps - ce qu'il appelle régime de temporalité - avait phagocyté l'échelle longue du temps de l'histoire - ce qu'il appelle régime d'historicité. Autrement dit, aujourd'hui, le présent n'est même plus orienté vers un avenir (celui du Progrès) qu'il est tourné vers lui-même : « Le régime de temporalité phagocyte le régime d’historicité ».
 
C'est ainsi que le présent est de plus en plus immédiat. Il est de plus en plus "instant" et de moins en moins "durée".

« L’avènement du présentisme peut alors être saisi comme le processus par lequel le régime de temporalité qui caractérisait de longue date la modernité renforce son emprise et, finalement, envahit le terrain laissé vacant par la ruine progressive du régime d’historicité… Pour caractériser un processus donné comme inéluctable, ce n’est plus la marche de l’histoire que l’on invoque, mais l’imperturbable avancée du temps horaire. Le temps mesuré et abstrait des horloges a bel et bien cannibalisé le temps historique ».
Jérôme Baschet, Défaire la tyrannie du présent, Temporalités émergentes et futurs inédits, page 170.
 
Autrement dit, alors que le régime moderne d’historicité faisait du présent un temps orienté par le progrès en direction du futur, le régime contemporain du présent produit un présent de plus en plus immédiat (avec de moins en moins de passé retenu et de futur projeté) et soumis à la rationalité de la « densification quantitative (hausse du rapport Q/T) ». C’est dire qu’aujourd’hui, ce n’est plus la fable du Progrès qui donne sens et direction à nos actions, c’est juste la rentabilité obtenue dans les délais les plus infinitésimaux.

Mais il est un autre domaine où cette emprise de l'immédiateté est encore plus pernicieuse : c'est malheureusement celui de la "transition".
Il faut commencer par rappeler cette évidence qu'une transition c'est un mouvement qui va d'un point de départ A à un point d'arrivée B. Il semble évident - ouf - qu'il ne peut pas y avoir de transition sans (prise de conscience du) point de départ. Mais le flou peut régner de l'autre côté, du côté du point B. Qui n'a pourtant même pas besoin d'être un "point" et qui peut être un "horizon", une "perspective", un "point de fuite".
 
Pour le dire plus clairement, une transition, pour être une transition doit être une sorte d'intermédiaire entre le dé-but et le but (le point de fuite) : et que, sans affirmation claire (fondée et désirable) d'une perspective, il n'y a plus en réalité qu'un intermédiaire tronqué, un intermédiaire qui, faute de perspective, se contente de prétendre faire "autrement"... immédiatement.
 
Et c'est dans cette immédiateté - faute de revendiquer haut et fort une perspective - que beaucoup de "transitions" s'étranglent elles-mêmes dans le nœud coulant de l'autrement.
 
Se pose alors la question des perspectives et donc du point de fuite : je prétends que ce point de fuite est la décroissance, car elle est aujourd'hui la seule proposition idéologique qui commence par revendiquer que toute proposition sérieuse doit organiser le retour démocratique dans le cadre de la soutenabilité écologique.
 
Dès qu'un intermédiaire est ainsi recadré, on peut/doit alors se poser les questions sérieuses : est-ce désirable ? Est-ce  faisable ? Est-ce acceptable ?

Michel Lepesant




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